La guerre en Ukraine ravive les débats sur la dissuasion nucléaire
La menace sans cesse agitée par Vladimir Poutine d’employer l’arme nucléaire, notamment des armes « tactiques », inquiète, même si beaucoup d’experts continuent de relativiser ce risque.
Une semaine après l’appel de Vladimir Poutine à la « mobilisation partielle » et l’annonce qu’il était prêt à employer « tous les moyens » à sa disposition pour « défendre la Russie », « en cas de menace de l’intégrité territoriale », la déclaration solennelle à la télévision du président russe, le 21 septembre, continue d’agiter les spécialistes de la dissuasion.
Si certains analystes insistent pour relativiser sa posture et son affirmation « ceci n’est pas du bluff », d’autres se montrent méfiants au sujet des référendums d’annexion, qui devaient s’achever mardi 27 septembre dans les territoires conquis par Moscou. Une bonne part de l’incertitude entretenue, à dessein, par Moscou, depuis le début de la guerre, concerne l’éventuel emploi d’armes nucléaires dites « tactiques », d’une portée inférieure à 500 kilomètres.
Ce que les spécialistes préfèrent généralement englober sous le terme d’armes « non stratégiques ». C’est-à-dire des armes non encadrées par les traités bilatéraux de maîtrise des armements, d’une portée inférieure à 5 500 kilomètres, et dont le but est l’emploi sur le champ de bataille. A l’inverse, les armes « stratégiques » sont généralement définies comme ayant une portée « intercontinentale ».
Tous les pays dotés de l’arme nucléaire n’ont pas d’armes nucléaires tactiques. La France a progressivement renoncé à cette partie de son arsenal dans les années 1990. Il s’agissait alors de missiles Pluton puis Hadès. Les données sur la Chine ne permettent pas de savoir si elle s’est dotée de cette capacité. Le flou demeure également concernant le Pakistan et la Corée du Nord.
La Russie, comme les Etats-Unis, dispose d’un arsenal nucléaire tactique assumé. Selon les données publiques, les armes nucléaires tactiques russes sont composées de moyens aéroportés, terrestres et navals. Les plus connus sont les lanceurs Iskander-M, pour lesquels Moscou dispose d’environ 70 têtes nucléaires. Un certain nombre d’Iskander-M ont été positionnés à l’est de l’Ukraine, en Biélorussie, ainsi que dans l’enclave russe de Kaliningrad. Ce système russe de missile balistique de courte ou moyenne portée peut emporter des têtes conventionnelles ou nucléaires.
Or, malgré la puissance de telles ogives, les dégâts liés à leur explosion pourraient être limités à un périmètre restreint, de l’ordre de la taille d’une ville. Les armes tactiques ont des charges généralement estimées à quelques dizaines de kilotonnes, contre plusieurs centaines pour les armes stratégiques.
- « La bombe larguée sur Hiroshima en 1945 faisait 14 kilotonnes : sa puissance la classerait donc aujourd’hui comme une arme tactique, même si ses effets ont été stratégiques. Malgré le drame, la radioactivité n’a pas duré longtemps et la reconstruction a redémarré quelques jours plus tard », détaille Héloïse Fayet, spécialiste des questions de dissuasion à l’Institut français des relations internationales (IFRI).
Quatre seuils de déclenchement
La moins grande puissance supposée des armes tactiques est toutefois ce qui en constitue l’une des principales dangerosités, aux yeux des spécialistes. La Russie est bien signataire du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). En tant qu’Etat doté de l’arme nucléaire (EDAN), et au nom des « garanties de sécurité » prévues dans ce traité, Moscou ne peut en principe menacer d’une attaque nucléaire un pays non doté de l’arme nucléaire (Endan). Mais la fuite en avant du président russe dans le conflit ukrainien surprend chaque jour les spécialistes militaires.
Reste donc à connaître la réponse que les Occidentaux apporteraient en cas de transgression russe.
- « Des réflexions ont actuellement lieu à tous les niveaux, même s’il est déjà acquis que la réponse sera conventionnelle et non nucléaire car l’Ukraine n’est pas couverte par les garanties de sécurité de l’OTAN », détaille Mme Fayet.
Selon la doctrine de dissuasion russe, il existe quatre seuils de déclenchement de l’arme nucléaire : la détection d’une attaque de missiles contre son territoire ; une attaque nucléaire ou conduite avec d’autres armes de destruction massive contre la Russie ou ses alliés ; des attaques conduisant à une paralysie du système de commandement ; et, enfin, une attaque conventionnelle qui menacerait « l’existence même » de la Russie.
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