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« La journaliste et le Président : un prix Nobel dans un combat pour la vérité »

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La journaliste philippine Maria Ressa, avec le journaliste russe Dmitry Muratov, a été récompensée par le prix Nobel de la Paix pour son combat pour la liberté d’expression. « Plus qu’une intégrité et une compétence professionnelles remarquables, c’est bien un combat politique qui est récompensé », selon Sophie Boisseau du Rocher (Centre Asie IFRI).

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C’est peu dire que Maria Ressa, prix Nobel de la paix 2021 avec Dmitri Muratov, est une des bêtes noires du Président philippin, Roberto Duterte. Cette femme de convictions est précisément ce que le président déteste : intègre, sérieuse, courageuse, idéaliste et factuelle. Elle a fait du journalisme d’investigation sa spécialité professionnelle avant d’en faire son combat politique. Car, sans aucun doute, un monde sans faits est un monde sans vérité et sans confiance ; rien n’est possible sans les faits ​selon ses termes. 

Revenue aux Philippines, son pays d’origine, elle fonde et dirige en 2012 la plateforme numérique Rappler et encourage ses journalistes à reporter des faits incontestables ; les excès de la guerre contre les trafiquants de drogue menée par Duterte à partir de 2016, sont vite devenus sa cible privilégiée tant ils illustrent les dérives d’un président populiste qui estime ne pas avoir de comptes à rendre et cautionne sans hésitation une violence d’État dont Ressa devine les dangers (30 000 personnes sont mortes à ce jour et le président est d’ailleurs amené à comparaître devant la Cour Pénale Internationale, CPI). L’arbitraire du pouvoir, les connexions mafieuses d’une Administration souvent corrompue, les menaces sur la liberté d’expression (après la fermeture de la plus grande chaîne de télévision en mai 2020), le muselage de la presse, sont dénoncés.

Réveiller nos consciences

Les reportages de Rappler, bien documentés et à l’analyse incisive, sont immédiatement démentis par la présidence et Duterte lui-même, dans la tradition des propos machistes et vulgaires dont il a l’habitude, la traite de tous les noms d’oiseau ; elle devient la cible d’un acharnement judiciaire qui a pour objectif de décrédibiliser son travail et son prestige. Sa vie est en danger et elle reçoit régulièrement des menaces de mort quand, autour d’elle, des journalistes sont abattus (tel Rex Cornelio en mai 2020). En luttant pour la liberté de la presse dans un régime arbitraire, violent et autoritaire, Ressa défend un idéal démocratique fondé sur la vérité : la mission des journalistes n’a jamais été aussi importante qu’elle ne l’est aujourd’hui aux Philippines ​rappelle-t-elle pour sensibiliser un peuple apeuré par les méthodes expéditives de ses élites. Mais nos droits et notre démocratie sont en jeu​, affirme-t-elle.


Dans une Asie du Sud-Est qui vire progressivement à l’autoritarisme (Thaïlande / Myanmar), où la presse est surveillée (Singapour / Malaisie), voire contrôlée (Cambodge / Vietnam), ce prix Nobel est une bonne nouvelle pour tous ceux qui défendent la libre expression des opinions et luttent contre les fake news dont certains dirigeants s’accommodent. Ils sont nombreux, mais invisibles, les individus qui alertent, sensibilisent, envoient des documents factuels avec leurs portables (et on a pu mesurer leur impact remarquable récemment en Birmanie / Myanmar après le coup d’État de février dernier). C’est aussi à eux que ce prix est décerné.

Au final, plus qu’une intégrité et une compétence professionnelles remarquables, c’est bien un combat politique qui est récompensé. Un combat qui replace chacun devant ses responsabilités et ses droits de citoyen. Un combat qui rappelle que la dignité humaine n’est pas un paramètre politique négociable. Maria Ressa aux Philippines et son collègue russe ont été choisis pour réveiller nos consciences et nous rappeler à nos responsabilités individuelles dans les chaînes tortueuses qui contribuent à édifier la paix.

 

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Sophie BOISSEAU du ROCHER

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Ancienne Chercheuse associée, Centre Asie de l'Ifri