"La politique chinoise de la France est devenue illisible et inaudible, parce que dépassée et insuffisamment exigeante"
A la veille de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, Paris doit clarifier ses positions vis-à-vis de Pékin alors même que les pressions chinoises contre des Etats membres de l’UE s’amplifient, relève Marc Julienne, spécialiste de la Chine, dans une tribune au « Monde ».
A la veille de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (UE), il est urgent de clarifier la politique de la France à l’égard d’un acteur incontournable des relations internationales : la République populaire de Chine. Alors que, à travers le monde et l’Europe, nombre d’Etats actualisent leur politique chinoise, prenant acte de la rupture politique qui s’est opérée en Chine sous la direction du secrétaire général [du Parti communiste chinois] Xi Jinping, la France, elle, ne montre pas de signe d’inflexion.
Qu’il s’agisse de la répression des Ouïgours, de la brutale reprise en main de Hongkong, de la pression militaire sur Taïwan, ou même des attaques verbales contre des parlementaires, des chercheurs et des médias en France, le gouvernement français réagit peu et, quand il le fait, c’est sous la pression de l’opinion publique ou quand le Parlement l’interroge expressément. Pour ainsi dire, le gouvernement s’exprime davantage à propos de la Chine quand il s’agit de communication de crise à destination interne que si c’était un enjeu central de politique internationale.
Notre politique chinoise est devenue illisible et inaudible, parce que dépassée et insuffisamment exigeante. Elle repose toujours sur l’engagement économique et commercial avec Pékin, en traitant les questions politiques sensibles en coulisse ou en les déléguant à Bruxelles (à l’exception du climat). Or, à l’échelle de l’UE, les pressions chinoises contre des Etats membres se multiplient. Celles-ci requièrent l’élaboration d’une réponse commune et l’expression d’une solidarité intergouvernementale plus claire, à commencer de la part de l’Etat qui préside le Conseil.
La Lituanie en première ligne
La République tchèque, la Slovaquie, la Suède et bien d’autres ont subi ces pressions, mais c’est véritablement la Lituanie sur laquelle il est crucial d’insister. En novembre, l’ouverture d’un bureau de représentation de Taïwan à Vilnius a provoqué l’ire de Pékin. Ce type de représentation existe dans de nombreux autres pays européens, mais sous la dénomination « Taipei », et non « Taïwan », ce qui constitue aux yeux de Pékin une entorse de la Lituanie au « principe d’une seule Chine ». C’est le dernier marqueur en date de la dégradation de la relation bilatérale depuis des mois entre les deux pays. La Chine a rappelé son ambassadeur de façon permanente, puis a interrompu l’ensemble des échanges commerciaux avec l’Etat balte. En outre, des multinationales européennes, y compris françaises, voient maintenant leurs marchandises à destination de la Chine retenues à la douane chinoise, du fait que leur chaîne de valeur passe par la Lituanie. Ce faisant, la Chine rompt avec ses engagements internationaux et fait planer la menace sur un grand nombre d’entreprises européennes commerçant avec elle.
D’un point de vue plus réaliste encore, en tant qu’acteur majeur de l’UE, la France ne peut rester à la traîne alors que ses partenaires adoptent d’ores et déjà des postures plus fermes et exigeantes vis-à-vis de la Chine. La Lituanie, au premier chef, qui refuse de se plier aux injonctions de Pékin, mais aussi ses voisins estonien et letton. La Slovaquie a affirmé son soutien à Taïwan, en envoyant par exemple sur l’île, début décembre, une large délégation conduite par un membre de l’exécutif, le vice-ministre de l’économie, Karol Galek. La République tchèque adopte une position de plus en plus ferme et vient de nommer dans son nouveau gouvernement Jan Lipavsky comme ministre des affaires étrangères, une personnalité connue pour sa ligne dure à l’égard de la Chine et de la Russie. Il sera ainsi en première ligne quand la République tchèque succédera à la France à la présidence du Conseil de l’UE [en juillet 2022]. En Allemagne, la nouvelle coalition s’est également engagée à tenir une position plus ferme envers la Chine, ce que la ministre Verte des affaires étrangères, Annalena Baerbock, entend bien appliquer.
Comment se fait-il alors que, durant la conférence de presse de deux heures du président de la République pour présenter l’agenda de la France pour sa présidence de l’UE, la Chine n’ait été évoquée qu’une seule fois, à propos du boycottage des Jeux olympiques de Pékin [du 4 au 20 février], et sans même donner de position claire ? Sur cette question d’ailleurs, le même jour, le ministre de l’éducation, de la jeunesse et des sports, Jean-Michel Blanquer, déclarait que la France ne les boycotterait pas, tandis que le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, avançait que Paris allait d’abord se concerter avec les partenaires européens…
Pour jouer pleinement son rôle de leader durant la présidence française du Conseil de l’Union européenne et au-delà, la France doit se positionner plus clairement sur la Chine, le plus grand défi de notre politique étrangère nationale et collective du XXIe siècle.
Entendons-nous bien, il ne s’agit pas ici de plaider pour l’adoption d’une politique d’opposition frontale à Pékin, comme nos partenaires outre-Atlantique ont décidé de le faire. Le dialogue avec Pékin doit demeurer cardinal. Mais il faut prendre conscience qu’on ne peut plus traiter avec la Chine d’aujourd’hui comme on traitait avec celle d’il y a dix ou vingt ans. Et agir en conséquence.
La présidence française du Conseil de l’Union européenne est une chance qui nous est donnée de promouvoir la concertation en Europe sur la Chine. Ne la manquons pas.
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