La politique de développement : une réponse aux européennes ?
Les résultats des élections européennes du mois de mai traduisent deux préoccupations centrales : l'immigration et l'environnement.
Nationalistes et écologistes représentent les deux forces politiques dynamiques du moment. Les premiers préconisent un renforcement des frontières en espérant réduire, voire tarir, les flux migratoires. Les seconds souhaitent un traitement sérieux des enjeux environnementaux en construisant des modes de gouvernance favorables aux biens communs de l'humanité. D'un côté la fermeture, de l'autre l'ouverture ? L'alternative n'est pas si simple, tant il est désormais artificiel de séparer réalités nationales et internationales, local et global, étatique et sociétal. « Populisme » est le terme le plus souvent employé pour définir la phase politique actuelle, même si sa définition ne fait pas l'objet d'un consensus. Pour Yascha Mounk1, les trois principales racines du populisme sont : la stagnation du niveau de vie des classes moyennes occidentales ; la transformation de société monoethniques en sociétés multiethniques ; la propagation des technologies de l'information et de la communication.
On serait tenté d'y ajouter un quatrième élément, la compréhension d'une finitude environnementale résumée d'une formule lors de la crise des gilets jaunes : « Fin du mois ou fin du monde ? » C'est à un retour des grandes peurs que nous assistons, alors même que les moyens d'accéder à l'information utile n'ont jamais été aussi diversifiés et faciles d'accès. Cette profonde anxiété s'explique par la compréhension que la sacro-sainte « innovation technologique » ne permettra de relever qu'une partie seulement des défis environnementaux, et que tous ne pourront pas en bénéficier de la même manière. Sauf, peut-être, en transformant profondément les politiques de développement, qui pourraient servir de plateformes de convergence des différentes aspirations. Adoptés en 2000, les « Objectifs du millénaire pour le développement » (OMD) concernaient uniquement les pays du Sud. Adoptés en 2015, les « Objectifs de développement durable » (ODD) considèrent que tous les pays sont en développement et en transition, même s'ils ne partent pas du même point et ne disposent pas des mêmes capacités initiales. Les ODD et l'Accord de Paris sur le climat ont dessiné un agenda universel du développement durable commun aux pays du Nord comme à ceux du Sud, et qui se veut inclusif en mobilisant l'ensemble des acteurs publics et privés.
Cette ambition nécessite des moyens financiers significatifs et une constance politique. Si l'aide publique au développement (APD) fait l'objet de critiques régulières sur son efficacité, elle n'en demeure pas moins indispensable car elle témoigne de la volonté des pays les plus avancés d'essayer de réduire les inégalités entre pays. À l'échelle mondiale, les trois principaux donateurs sont les trois principaux alliés de la France : les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne. Les États-Unis sont les premiers en volume alors que Londres et Berlin allouent désormais 0,7 % de leur produit intérieur brut (PIB) à l'APD. Emmanuel Macron s'est engagé à ce que la France porte son effort à 0,55 % de son PIB à horizon 2022. Au cours des années 2000, l'aide française a nettement diminué, en perdant environ 40 % de ses moyens budgétaires. Dans le même temps, la Chine est devenue un acteur de premier plan en matière d'investissements dans des pays en développement, non seulement en Afrique mais aussi en Asie et en Amérique latine. Elle apporte surtout des prêts, plus ou moins concessionnels, et passe le plus souvent par les entreprises chinoises. La Chine n'est pas membre du Club de Paris, qui réunit les principaux créanciers publics. Ce point est à garder à l'esprit dans la mesure où nous sommes entrés dans une phase de réendettement massif et de service de la dette pour un certain nombre de pays en développement, qui devrait entraîner de nouveaux ajustements structurels, évidemment douloureux. L'enjeu est double : anticiper le rôle de la Chine qui entend façonner une gouvernance mondiale à sa main ; créer un consensus sur les politiques de développement, méconnues mais indispensables au regard des deux préoccupations centrales des opinions européennes. Pour être efficaces, elles doivent être expliquées et promues, aussi bien chez le bénéficiaire que chez le donateur.
Thomas Gomart, directeur de l'Ifri.
Lire la chronique sur le site de la Revue Études
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