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« Le sommet sur l’IA est une opportunité de revigorer un multilatéralisme moribond »

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Le sommet sur l’intelligence artificielle (IA) s’ouvre ce lundi 10 février à Paris. Laure de Roucy-Rochegonde souligne l’importance d’une coopération internationale en termes de régulation, pour éviter un paysage fragmenté dangereux. Elle milite pour la mise en place d’un « accord de Paris sur l’IA ».

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Eléments numériques sur fond d'une assemblée
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Cette semaine se tient à Paris l’« AI Action Summit ». Ce sommet, co-présidé par l’Inde, s’inscrit dans la continuité de l’« AI Safety Summit », organisé à Bletchley Park (Royaume-Uni) en novembre 2023, et qui a donné lieu à deux autres éditions, à Séoul en mai 2024 et à San Francisco en novembre 2024. L’infléchissement de l’approche par la France, qui décide de dédier son événement mondial à l’action plutôt qu’à la sécurité en matière d’intelligence artificielle, est emblématique de la tension entre risques et opportunités qui rend si difficile la régulation internationale du développement et des usages de cette technologie.

L’IA est au cœur d’une véritable course à la puissance, dominée sans surprise par la rivalité sino-américaine mais où d’autres États, à l’image de la France, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de l’Inde, du Canada, de la Corée du Sud ou encore des pays du Golfe, tentent aussi de tirer leur épingle du jeu. Or, dans cette compétition féroce, la gouvernance est un enjeu tout aussi essentiel que ne le sont les investissements, les corpus de données, les algorithmes, la puissance de calcul ou encore les talents. L’objectif est en effet de se doter d’un arsenal normatif pour soutenir l’innovation.

Une régulation en « patchwork »

Les perspectives et les discours divergent néanmoins quant aux priorités en matière de gouvernance de l’IA. Tandis que certains mettent l’accent sur la nécessité de réguler, d’autres insistent sur le besoin de stimuler l’innovation et présentent les tentatives d’encadrement comme un obstacle aux découvertes. États-Unis, Chine et Europe s’efforcent donc de prendre le leadership de la régulation de l’IA, afin de faire advenir des réglementations compatibles avec leurs ambitions nationales, et susceptibles de freiner au passage leurs compétiteurs. Cette régulation en « patchwork » fait cependant craindre une balkanisation de la gouvernance, qui se traduirait par l’adoption erratique de normes concurrentes, et qui irait de fait à l’encontre de l’ambition de régulation universelle d’une technologie qui l’est tout autant.

Le paysage réglementaire actuel est, de fait, éminemment fragmenté. L’élaboration de nouvelles normes est discutée dans d’innombrables forums – PMIA, OCDE, Unesco, ONU, G7, G20 –, alors même que les ressources diplomatiques sont limitées et qu’il est impossible pour un État de s’investir dans toutes les enceintes de négociation à la fois. Cette situation donne lieu à un phénomène de « Forum Shopping », qui voit les États choisir stratégiquement des enceintes, au détriment du multilatéralisme traditionnel. En résulte une cacophonie normative, qui peine à s’harmoniser.

Reste donc à savoir si ces initiatives pléthoriques donneront lieu à des engagements concrets, permettront de diluer les risques les plus préoccupants dans les années à venir et, surtout, si elles trouveront un écho au-delà de la sphère occidentale, alors que seuls sept pays participent à toutes et que 119 ne font partie d’aucune. À mesure que les tentatives d’encadrement se multiplient dans le monde entier, il est essentiel de réfléchir à leur mise en cohérence, pour prévenir une fragmentation des cadres normatifs, qui pourrait entraîner une tension entre des modèles opposés voire incompatibles. Une coopération internationale plus forte est alors indispensable pour remédier à cet éparpillement et mettre en place des garde-fous robustes.

Au-delà des vœux pieux

Au fur et à mesure que la communauté internationale progresse dans sa compréhension de ces nouvelles technologies, l’accent doit cependant être mis sur des actions concrètes plutôt que sur des gestes symboliques. Si les sommets, les codes de conduite, les règlements et les déclarations ont mis en lumière l’importance de la gouvernance de l’IA, des engagements plus contraignants sont désormais nécessaires pour entreprendre un véritable changement. Pour aller au-delà des vœux pieux ou des déclarations d’intention, il est donc impératif de concevoir des mécanismes de vérification et de sanction en cas d’infraction. L’AI Action Summit de Paris peut de ce point de vue constituer un momentum et permettre la mise au point d’un « accord de Paris sur l’IA ».

Bien sûr, le multilatéralisme n’a pas le vent en poupe, encore plus alors que les États-Unis de Donal Trump II dénoncent leurs engagements internationaux les uns après les autres (Organisation mondiale de la santé, Accord de Paris sur le climat…). Il faut néanmoins y voir une opportunité de revigorer un multilatéralisme moribond, en s’emparant du défi on ne peut plus universel qu’est l’encadrement de l’IA.

Pour mettre en œuvre cet agenda ambitieux, un organe international devrait être établi pour harmoniser les différentes initiatives et répartir entre elles les compétences (éthiques, sécuritaires, sociétales, scientifiques, techniques, commerciales, etc.), afin d’éviter les redondances et les contradictions. Il ne s’agit en aucun cas de repartir de zéro, mais bien de mettre en musique ce qui existe déjà. Aucune véritable gouvernance mondiale de l’IA ne saurait émerger sans l’existence d’un tel « chef d’orchestre ».

Lire la tribune sur le site de La Croix.

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Etude sur la gouvernance mondiale de l'intelligence artificielle de la docteure Laure de Roucy-Rochegonde
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Laure de ROUCY-ROCHEGONDE

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