L’échec des Etats-Unis en Afghanistan résonne au Sahel
Depuis la chute de Kaboul, des voix s’élèvent au Mali pour que les leçons de l’échec américain soient tirées. Car, comme en Afghanistan, l’interventionnisme occidental ne parvient pas à contrer l’insurrection djihadiste.
Iyad Ag Ghali n’a pas attendu la prise de Kaboul pour saluer la victoire des talibans en Afghanistan. Alors qu’il ne s’était pas exprimé depuis novembre 2019, le chef djihadiste du Groupe de soutien de l’islam et des musulmans (GSIM), la branche sahélienne d’Al-Qaida, s’est fendu, mardi 10 août, d’un message audio dans lequel il a rendu hommage à « [leur] émirat islamique d’Afghanistan, à l’occasion du retrait des forces américaines d’invasion et de leurs alliés ». Un renversement qui, a-t-il ajouté, « est le résultat de deux décennies de patience ».
Ce n’est pas un hasard si l’irrésistible offensive des talibans résonne jusqu’aux confins du Sahel. Lors de la création du GSIM, en 2017, Iyad Ag Ghali a prêté allégeance à Al-Qaida, mais aussi aux islamistes afghans. Les talibans, comme les combattants sahéliens, participent de la même nébuleuse. « Ils ont un vrai savoir-faire insurrectionnel commun, qui est le produit de la matrice Al-Qaida, souligne Yvan Guichaoua, chercheur à l’Ecole d’études internationales de l’université du Kent, à Bruxelles. Ils partagent, en outre, un même objectif : l’application de la charia. ».
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Une aide internationale à double tranchant
Si les contextes et les maux diffèrent, l’interventionnisme occidental semble néanmoins tomber dans les mêmes travers. « Méconnaissance des sociétés ou fausses interprétations : l’expertise produit un manque de lucidité », relève Gilles Dorronsoro, professeur de science politique à l’université Paris-I et spécialiste de l’Afghanistan, qui effectue aussi des recherches sur les institutions maliennes. « Les mêmes organisations produisent des expertises similaires en Afghanistan comme au Mali. Le circuit est fermé, car la réussite d’un expert est mesurée à son degré d’introduction auprès des décideurs et à ses capacités à obtenir des financements. Derrière, les sociétés locales se retrouvent dépossédées de leur politique, ce qui accélère l’affaiblissement de l’Etat et peut produire du désordre. »
L’économie de la guerre développée par l’interventionnisme est tout aussi déstabilisante, comme le souligne Elie Tenenbaum, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI) :
- « L’aide internationale s’est accrue brutalement, alors que ces pays n’avaient pas d’Etat ni de gouvernance suffisamment forte pour la gérer. Cela a créé un effet d’aubaine, qui s’est traduit par une augmentation de la corruption. » Une gangrène qui s’est notamment répandue au sein des armées. Des milliards d’euros ont été détournés par des régimes politiques soutenus par l’Occident, complexifiant encore davantage le combat des troupes régulières contre les terroristes.
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- « Pour contrer ces insurrections violentes, il faut laisser émerger de nouvelles forces politiques qui correspondent aux aspirations réelles du peuple. Cela fait peur aux Occidentaux, car ils ne pourront pas forcément les contrôler et leurs idées pourraient rejoindre, sur certains plans, une partie du discours des islamistes, mais ils seront les seuls à avoir le contrepoids suffisant », analyse Elie Tenenbaum, avant de tirer du scénario afghan une leçon qui pourrait être utile au Sahel : « Etre modeste dans ses ambitions. Il faut que les acteurs internationaux qui, légitimement, vont protéger leurs intérêts essaient d’avoir un périmètre réduit à une juste suffisance. Le reste doit dépendre des acteurs locaux. »
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