Les enjeux de la présidence francaise du Conseil de l'Union européenne
Du 1er janvier au 30 juin 2022, Paris préside le Conseil de l’Union européenne qui réunit les ministres des États membres par domaine d’activité, au moment où la France est en pleine campagne pour l’élection présidentielle (les 10 et 24 avril 2022). Une différence notable à rappeler : Nicolas Sarkozy occupait également, en 2008, la fonction de président du Conseil européen, qui rassemble les chefs d’État et de gouvernement.
Depuis le traité de Lisbonne (2009), cette fonction est assurée par un Président élu pour deux ans et demi reconductibles (actuellement, Charles Michel). Une présidence correspond à un exercice technocratique, législatif et parfois politique. Il s’agit à la fois de faire preuve de neutralité et d’impartialité dans le traitement du paquet législatif, tout en cherchant aussi à introduire de nouvelles idées. Une présidence doit, en outre, savoir réagir aux éventuelles crises susceptibles d’apparaître brusquement, comme le conflit russo-géorgien de 2008.
Dans la phase préparatoire, les autorités françaises ont résumé leurs priorités par trois mots-clés : relance, puissance et appartenance. Depuis plusieurs mois, elles conduisent de nombreuses consultations bilatérales avec les États membres pour essayer de créer des dynamiques. Six dossiers apparaissent prioritaires. Le premier, c’est celui de la neutralité carbone que l’Union européenne (UE) doit atteindre en 2050, qui implique une profonde transformation de l’appareil productif européen, ainsi que des besoins de financement considérables. La mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE vise à prévenir les risques de fuite carbone, tout en respectant les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Deuxième priorité : sécurité et frontière. Consciente de l’extrême sensibilité politique du sujet, a fortiori en période électorale, la présidence française est très attendue. Troisième priorité : la relance et la croissance de l’UE, qui passent notamment par un renforcement de ses capacités technologiques. Avec le DSA (Digital Service Act) et le DMA (Digital Market Act), l’UE entend être à la pointe de la régulation numérique. Quatrième priorité, l’Europe sociale que Paris voudrait relancer, avec notamment les sujets de salaire minimum, de transparence salariale et de santé au travail. Cinquième priorité, l’Europe des valeurs (mobilité, éducation). Ce dossier touche aussi à l’éducation supérieure et à l’avenir des universités européennes sur lesquelles, après le Brexit, les Européens doivent réinvestir. Sixième priorité, l’Europe comme acteur international, qui doit promouvoir ses intérêts face à ses partenaires et ses compétiteurs. C’est au cours de la présidence française que le travail sur la « boussole stratégique » doit trouver son terme et permettre une lecture plus convergente des enjeux de sécurité. Reste un dernier dossier, éminemment politique, celui des relations entre États membres au sujet de l’État de droit et du respect de la séparation des pouvoirs, principes ouvertement contestés par la Pologne et la Hongrie.
Au-delà de ces dossiers, cette présidence est sans nul doute une occasion pour la France d’interroger son rapport à l’Europe en se rappelant que les Français avaient rejeté par référendum le traité constitutionnel en 2005, reformulé ensuite par le traité de Lisbonne adopté par la voie parlementaire. Cette fracture se rejoue dès que le projet européen est présenté comme celui des élites mondialisées opposées à une population qui serait attachée à la préservation de la souveraineté nationale. Si peu de personnalités de premier plan évoquent ouvertement le Frexit, force est de constater que le mode de fonctionnement de l’UE à travers la primauté du droit européen sur le droit national fait désormais l’objet de vives critiques sur l’ensemble du spectre politique.
Il est fréquent de dire que l’UE progresse en traversant des crises. Or, la crise sanitaire est loin d’être finie ; elle a donné lieu à la fois à des formes de renationalisation et de fédéralisation des politiques européennes, qui entretiennent l’expectative sur le cours du projet européen à moyen terme. Il dépendra principalement de la capacité collective des Européens à maîtriser les transitions numérique et énergétique. Reste une question fondamentale à laquelle la France donne parfois l’impression d’être la seule à vouloir répondre : l’Europe est-elle décidée à assurer sa sécurité davantage par elle-même ? Il se pourrait bien que les circonstances l’y obligent.
> Lire l'article sur le site de la revue Études
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