Les enjeux derrière la disparition de la joueuse de tennis chinoise Peng Shuai
La championne de tennis chinoise Peng Shuai n'a donné aucune nouvelle ni fait d'apparition publique depuis qu'elle a publié au début du mois un message dans lequel elle accuse un puissant homme politique chinois de l'avoir violée. La cible des accusations et la mobilisation internationale sont "sans précédent".
Cela fait désormais 17 jours que Peng Shuai n'a pas donné signe de vie. La joueuse de tennis chinoise, ancienne numéro 1 mondiale en double, a disparu après avoir laissé un message sur son compte officiel Weibo (un équivalent chinois de Twitter) dans lequel elle accuse un homme politique, Zhang Gaoli, de l'avoir violée il y a trois ans. Un message supprimé quelques minutes plus tard. Il faut dire que la cible de ses accusations n'est pas n'importe qui : il s'agit de l'ancien vice-Premier ministre de Chine, un des sept membres du comité permanent du bureau politique du parti communiste chinois. En somme, l'un des hommes les plus puissants du pays.
Zhang Gaoli est aujourd'hui retraité mais l'influence de ce proche de Xi Jinping, actuel président de la République populaire de Chine, reste intacte. Sa réputation va de paire avec celle des plus hautes instances du pays, explique Marc Julienne, responsable des activités Chine de l'Institut français des relations internationales (Ifri) : "Les accusations de Peng Shuai visent l'un des plus hauts dirigeants chinois et donc incriminent aussi, indirectement, le parti et l'intégrité des plus hauts dirigeants chinois." L'enjeu est de taille car le parti communiste craint "que de telles accusations puissent créer des mouvements de protestation, notamment sur les réseaux sociaux, et que cela créé une sorte d'instabilité sociale."
Les accusations de Peng Shuai visent l'un des plus hauts dirigeants chinois et donc incriminent aussi, indirectement, le parti et l'intégrité des plus hauts dirigeants chinois. Marc Julienne, responsable des activités Chine de l'Institut français des relations internationales (Ifri)
Une analyse partagée par Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique. "Les accusations, si elles étaient avérées ou s'il y avait un procès, remettraient en cause toute la stratégie de Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir, qui est de mettre en avant les dirigeants du parti comme étant extrêmement vertueux, moraux et irréprochables", souligne-t-il.
Une mobilisation sans précédent
À la censure exercée à plein régime dans le pays s'ajoute un travail de propagande à l'international. Car l'affaire a suscité beaucoup de réactions. En début de semaine, les plus grands noms du tennis ont fait part de leur craintes. L'ancienne numéro 1 mondiale Naomi Osaka s'est dite "choquée par la situation". "Cela doit faire l'objet d'une enquête et nous ne devons pas rester silencieux", a écrit la star américaine Serena Williams sur Twitter, où le hashtag #WhereIsPengShuai a pris rapidement de l'ampleur.
Le patron de la WTA (association qui gère le circuit professionnel féminin de tennis), Steve Simon, a lui menacé de retirer de Chine les compétitions de tennis féminin, si le pays ne tire pas l'affaire au clair. "C'est plus important que les affaires", a-t-il indiqué. "Habituellement, la Chine tord le bras" aux acteurs internationaux qui prennent position, souligne Marc Julienne. "Là, la WTA est très ferme", insiste le spécialiste.
Habituellement, la Chine tord le bras aux acteurs internationaux qui prennent position. Là, la WTA est très ferme. Marc Julienne, responsable des activités Chine de l'Institut français des relations internationales (Ifri)
La mobilisation internationale a continué ce vendredi. La France s'est dite "préoccupée" par le sort réservé à la joueuse et le Haut commissariat aux droits de l'homme a fait savoir qu'il serait "important d'avoir des preuves sur le lieu où elle se trouve et de savoir si elle va bien". "Nous demandons instamment qu'une enquête soit menée en toute transparence sur ses allégations d'agression sexuelle", a déclaré sa porte-parole, Liz Throssell, lors d'un point de presse à Genève. "La mobilisation internationale, non pas des ONG ou des acteurs politiques mais avant tout des athlètes, est sans précédent", note Antoine Bondaz.
La Chine tente d'étouffer l'affaire
À l'étranger, l'objectif des autorités chinoises est "d'étouffer l'affaire en disant qu'il n'y aucune raison de s'inquiéter", explique Antoine Bondaz. Un mail signé de Peng Shuai a été publié pour tenter d'apaiser la crise. Dévoilé mercredi soir sur Twitter par la chaîne d'État chinoise CGTN, ce courriel est attribué à la joueuse et aurait été envoyé à la direction de la WTA. Elle revient sur ses accusations et indique qu'elle "se repose". "Tout va bien. Merci encore d'avoir pris de mes nouvelles", conclut le mail.
"Ce message semble commandité voire rédigé par les autorités chinoises", note Marc Julienne. Sur CNN, le patron de la WTA a d'ailleurs exprimé ses doutes sur son authenticité. "On peut imaginer qu'en voyant la polémique monter sur la scène internationale, les autorités ont voulu étouffer l'affaire en montrant un signe de vie de la joueuse et en revenant sur ses propos. Mais l'effet a été complètement inverse, ça n'a fait que mettre de l'huile sur le feu."
Ce message semble commandité voire rédigé par les autorités chinoises. Marc Julienne, responsable des activités Chine de l'Institut français des relations internationales (Ifri)
Vendredi soir, quatre clichés de la championne de tennis ont été publiés par le compte Twitter @shen_shiwei, libellé "média affilié à l'État chinois" par le réseau social. Ce compte Twitter affirme que ces photos ont été postées en privé par la joueuse pour souhaiter "bon week-end" à ses contacts. Hu Xijin, influent rédacteur en chef du quotidien chinois Global Times, affirme avoir confirmation que ces clichés sont "bien des photos actuelles" de Peng Shuai. "Ces derniers jours, elle est restée chez elle en toute liberté et ne voulait pas être dérangée", affirme-t-il en anglais sur Twitter, précisant que Peng Shuai "se montrera bientôt en public".
Des disparitions à répétition
Ce n'est pas la première fois qu'une telle disparition a lieu en Chine. Plusieurs stars de cinéma ont ainsi fait les frais du régime ces dernières années. Cela a été le cas par exemple de Fan Bing Bing, disparue des écrans radars pendant quelques mois à partir du printemps 2018 et plus récemment de Zhao Wei, "qui a été effacée de la toile chinoise, notamment sa filmographie, les pages qui lui sont liées", rapporte Marc Julienne.
Le spécialiste de la Chine cite aussi l'exemple du fondateur du groupe Alibaba, Jack Ma. Cet homme d'affaires "charismatique, qui parlait énormément sur la scène internationale, dans les médias, a pris des positions qui n'ont pas plu au parti et a ensuite disparu". Quand il a refait surface quelques mois plus tard, il ne tenait plus du tout le même discours. "La plupart du temps, les personnes disparues réapparaissent mais avec une modération dans leurs propos, dans leur expression publique et il peut y avoir des excuses publiques", indique Marc Julienne.
La plupart du temps, les personnes disparues réapparaissent mais avec une modération dans leurs propos, dans leur expression publique et il peut y avoir des excuses publiques. Marc Julienne, responsable des activités Chine de l'Institut français des relations internationales (Ifri)
Impossible aujourd'hui de savoir où se trouve Peng Shuai et de connaître son état de santé. "Il y a de fortes chances pour qu'elle soit a minima en résidence surveillée chez elle et au pire dans une prison de la police ou une prison secrète du parti communiste", avance le spécialiste. "En tout cas, il est sûr qu'elle a passé des interrogatoires avec les services de sécurité." La mobilisation "extrêmement forte" de la communauté internationale permettra-t-elle d'avoir des nouvelles de Peng Shuai ? Pour Antoine Bondaz, "rien n'est moins sûr".
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