L’Iran au seuil de ses ambitions nucléaires
Téhéran a de nouveau progressé dans son programme nucléaire : la République islamique enrichit désormais de l’uranium à 60% dans un deuxième site, celui de Fordo, qui a la particularité d’être profondément enfoui sous terre. Cette accélération survient alors qu’il n’y a plus de négociations pour un nouvel accord nucléaire. Et alors que l’isolement de l’Iran s’accroît en raison de la répression du mouvement de contestation qui dure depuis le mois de septembre.
Au mois d’août 2022, un vent d’optimisme soufflait sur Vienne, la capitale autrichienne. De multiples sources prédisaient la relance de l’accord nucléaire (le JCPOA, conclu en 2015 puis miné par le retrait des États-Unis de Donald Trump en 2018). Mais l’été s’est terminé et les négociations de Vienne se sont interrompues sans résultat « à cause d’une position déraisonnable de l’Iran », selon Robert Malley, l’envoyé spécial pour l’Iran du président américain, que RFI a rencontré début novembre à l’occasion de son passage à Paris.« Nous étions très proches d’un accord mais à la dernière minute, l’Iran a décidé de réintroduire des demandes injustifiables et inacceptables », explique Robert Malley qui ajoute que le contexte lui-aussi a changé : l’Iran est secoué par un mouvement de contestation inédit et les drones iraniens ont fait irruption dans le ciel ukrainien, au service de l’armée russe.
Aucune négociation en vue mais l’Iran poursuit ses avancées et a annoncé le 22 novembre avoir commencé à enrichir de l’uranium à 60% sur le site de Fordo, profondément enfoui sous terre. L’année dernière, l’Iran avait déjà atteint ce taux d’enrichissement sur le site de Natanz, alors que l’accord nucléaire (Joint Comprehensive Plan Of Action, JCPOA) de 2015 limite le seuil d’enrichissement d’uranium à 3,67%, un taux compatible avec un programme nucléaire civil.
Un « état du seuil »
En s’affranchissant ainsi de ses obligations nucléaires et en limitant les inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est-il au seuil de devenir une puissance nucléaire ?
« L’Iran reconnu être un état du seuil sans toutefois employer ce terme, explique la chercheuse Héloïse Fayet de l’Institut français des relations internationales (Ifri), à l’été 2022 Téhéran s’est dit en capacité de produire une arme nucléaire très facilement, donc en quelques jours, en cas de volonté politique de le faire. Comprendre : si le Guide suprême iranien Ali Khamenei le décide. »
Les experts internationaux n’ont pas tous la même définition de la notion de « pays du seuil ».
Selon Héloïse Fayet de l’Ifri, « on peut considérer que c’est un pays qui n’a pas encore la bombe atomique mais qui peut décider de la produire en quelques jours ou quelques semaines ».
Dans le passé, l’Afrique du Sud a pu atteindre ce seuil, avant de démanteler volontairement son programme nucléaire dans les années 1990. D’autres pays se sont approchés de ce statut et parmi eux certains ont choisi de franchir ce fameux « seuil » : Inde, Pakistan, Israël (qui n’a jamais reconnu officiellement être une puissance nucléaire) ou plus récemment la Corée du Nord.
Missiles
« L’Iran s’est en quelque sorte auto-désigné "état du seuil" : il possède environ 60 kilogrammes d’uranium enrichi à 60%, il ne faudrait que quelques jours pour l’enrichir à 90% », explique Héloïse Fayet. Et ensuite ? « Avec environs 25 kilogrammes d’uranium enrichi de niveau militaire, il pourrait fabriquer une charge nucléaire. Même si ensuite il lui faudrait plusieurs années pour la militariser, c’est-à-dire la placer sur un missile ou une bombe », poursuit la chercheuse de l’Ifri.
Analyse partagée par le chercheur israélien Ely Karmon : « l’Iran est très proche de devenir une puissance nucléaire, explique ce spécialiste de l'International Institute for Counter-Terrorism (ICT), il lui faudrait plusieurs semaines pour fabriquer une bombe. Mais le projet militaire proprement dit comprend une phase beaucoup plus délicate, plus difficile. Selon les estimations israéliennes, cela prendrait encore un an et demi à deux ans ».
L’Iran dispose déjà d’un programme balistique avancé, qui n’était pas inclus dans l’accord nucléaire (JCPOA) de 2015, ce qui a souvent été souligné par les détracteurs du texte, que ce soit en Israël, dans les pays du Golfe ou aux États-Unis.
« Le processus de militarisation [d’une charge atomique] prendrait un, deux ou trois ans, selon les estimations mais serait beaucoup plus discret que le programme nucléaire lui-même », selon Héloïse Fayet.
Option militaire
L’Iran est donc entré dans une phase particulièrement sensible de son programme nucléaire. Les États-Unis de Joe Biden n’écartent par l’option militaire pour l’empêcher de se doter de la bombe atomique. Israël agite aussi ce scénario et« a commencé à préparer les bases d’une alternative militaire indépendante », selon Ely Karmon. « Tous les gouvernements israéliens auraient préféré que les États-Unis – ou peut-être une coalition internationale avec l’UE ou l’OTAN proposent une alternative militaire sérieuse pour dissuader Téhéran de se doter de l’arme nucléaire, explique le chercheur de l’ICT pour qui Israël se rend compte qu’on ne peut pas se fier complètement à l’attitude des administrations américaines. »
> Retrouver l'intégralité de l'article sur RFI.
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