Livraisons d'armes à l'Ukraine: pourquoi ça traîne ?
À la veille d'une possible nouvelle offensive russe, les pays alliés de Kiev, notamment la France, peinent à lui fournir suffisamment de matériel militaire, et vite, pour tenir. L'Occident serait-il à court de munitions?
« Le rythme actuel d'utilisation de munitions par l'Ukraine est beaucoup plus élevé que notre rythme actuel de production », alertait en tout cas le secrétaire général de l'OTAN Jens Stoltenberg le 13 février.
La guerre en Ukraine représente un défi que les nations européennes n'avaient pas eu à relever depuis la guerre froide. En novembre 2022, environ 24.000 munitions d'artillerie étaient tirées chaque jour sur la ligne de front, dont 20.000 rien que par l'armée russe et entre 4.000 et 7.000 par l'armée ukrainienne, selon des estimations américaines. Un rythme de consommation affolant, qui met en tension les stocks de Moscou, mais aussi et surtout ceux de Kiev, l'Ukraine restant, malgré ses victoires, un nain comparé à son ennemi. « On a un problème », a admis Jens Stoltenberg, tout en assurant avoir une « une stratégie pour y faire face ».
« Le véritable souci, c'est la durée que prennent les remises à niveau opérationnelle ou de production, ainsi que le temps de la formation à l'utilisation de ce matériel et de sa maintenance ». Mais « le paramètre principal, c'est de savoir si que ce qu'on livre aux Ukrainiens existe déjà, ou s'il faut le produire », résume Léo Péria-Peigné
Mais «le paramètre principal, c'est de savoir si que ce qu'on livre aux Ukrainiens existe déjà, ou s'il faut le produire», résume celui qui est également l'auteur d'une note de l'Ifri sur le rôle des stocks militaires dans les conflits dits de «haute intensité», publiée en décembre. Or, les marges de manœuvre, allemandes et françaises en particulier, ont été réduites par trente ans de coupes budgétaires.
«Ce qu'on donne, c'est à perte»
« Les militaires français savent que tout ce qui est donné ne sera pas forcément remplacé, poursuit Léo Péria-Peigné. Ils n'ont déjà pas grand-chose et ils craignent de voir des unités entières disparaître, faute de matériel justifiant leur existence. »
Le chercheur ajoute: « La France peut donner, mais elle ne monte pas en puissance et ne rachète que très peu de matériel pour compenser. Ce qu'on donne, c'est à perte. » D'autant plus que si « les Britanniques avaient l'habitude de garder un certain temps le matériel retiré du service », Paris le détruit rapidement, « faute d'infrastructure et de volonté politique ».
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Une question hautement politique
Certes, chaque pays ne bénéficie pas des mêmes stocks disponibles, mais il s'agit avant tout de choix politiques. En juillet 2022, le New York Times affirmait ainsi que «l'Allemagne et la France [...] estiment qu'une Russie dotée d'armes nucléaires est trop grande et dangereuse pour être vaincue de manière significative, et que son président, Vladimir Poutine, ne devrait pas être acculé».
C'est en effet tout le discours prudent du chancelier allemand Olaf Scholz. «Nous avons progressé petit à petit et nous continuerons à suivre ce principe. [...] C'est le seul qui garantisse la sécurité de l'Europe et de l'Allemagne», s'était-il justifié devant le Bundestag le 25 janvier, accusé d'avoir trop tardé à approuver la livraison de chars Leopard 2 à l'Ukraine. Il a finalement annoncé le 15 février dernier qu'un «demi bataillon» de chars Leopard 2, soit une quinzaine de blindés, serait livré dès fin mars à l'Ukraine.
Au contraire, «les Baltes comme les Polonais ont fait le calcul que chaque soldat russe neutralisé grâce au matériel livré à l'Ukraine serait une potentielle menace future en moins», explique Léo Péria-Peigné. «Ils font donc un choix différent de la France, tout en investissant pour se rééquiper à moyen terme, souvent avec du matériel plus moderne.»
« La France est moins impliquée avec les Ukrainiens que les Polonais ou les Britanniques, qui travaillent avec eux depuis 2014. Dans ce jeu-là, Paris était, dès le départ, marginalisé », souligne par ailleurs le chercheur.
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