Lutte anti-terroriste : une guerre sans fin ?
Chercheurs à l’Ifri, Marc Hecker et Elie Tenenbaum analysent les succès et échecs de la lutte contre le jihadisme. De la guerre en Irak à l’Etat islamique.
« Toute guerre a une fin. » La maxime de Fred Iklé, sociologue et ancien sous-secrétaire américain à la Défense sous Ronald Reagan, s’applique-t-elle à cette mal nommée «guerre contre le terrorisme» lancée après le 11 septembre 2001 ? Et qui l’a gagnée ? Les groupes jihadistes ou les pays, Etats-Unis en tête, qui entendaient les annihiler ?
Marc Hecker et Elie Tenenbaum, chercheurs à l’Institut français des relations internationales (Ifri), n’apportent – heureusement – pas une réponse définitive, forcément trop simple. Par son ampleur, ses stratégies changeantes et parfois contradictoires, la lutte antiterroriste mondiale de ces 20 dernières années n’a pu que donner des résultats différents selon les régions où elle a été menée, et selon les organisations qu’elle visait. Pour analyser cette guerre, les auteurs préfèrent avancer par étapes.
Ils déroulent à l’arrivée un récit précis et étayé, qui dissèque les décisions prises et leurs conséquences. Il y a d’abord « l’onde de choc de l’hyperterrorisme », qui court de 2001 à2006. Car si le ji had n’est pas né avec le 11 Septembre, les attentats contre New York et Washington provoquent la sidération. « Le Pearl Harbor du XXIe siècle », comme l’écrit le président George W. Bush dans son journal. Jamais les Etats-Unis, souvent menacés et attaqués, n’avaient été frappés aussi violemment. Leur réponse sera tout aussi radicale. Ils lancent une « guerre globale » qu’ils entament en Afghanistan et prolongent en Irak. Cinq ans plus tard, les talibans ont, certes, perdu le pouvoir mais ils se sont transformés en une insurrection. L’intervention en Irak se révèle être une catastrophe. « Elle a créé un appel d’air pour la mouvance jihadiste internationale et accéléré la stratégie de décentralisation d’Al-Qaeda [...]. L’invasion décidée par l’administration Bush s’est rendue illégitime en se fondant sur des motifs fallacieux et des preuves erronées », écrivent les auteurs.
La deuxième phase, de 2006 à 2011, est celle de la contre-insurrection. Washington et ses alliés tentent de corriger leurs erreurs. En Afghanistan, il est déjà trop tard, il faut prévoir la sortie et bientôt préparer un calendrier de retrait. L’Irak, en revanche, se stabilise. La communauté sunnite, où puisait Al- Qaeda, est moins ostracisée, la spirale de violences s’enraye. L’organisation jihadiste réagit. Elle se régionalise, mutant en une « marque mondiale » avec des franchises au Sahel et au Yémen. Le terrorisme redevient « une simple nuisance ». Le répit ne durera pas. Dès le printemps 2011, les révolutions se succèdent dans le monde arabe. En Syrie, l’espoir des manifestants se fracasse sur la répression sauvage du régime de Bachar al-Assad. Le soulèvement se mue en guerre civile dans laquelle s’engouffre le jihad. Des milliers de volontaires, venus d’une centaine de pays, affluent. Une nouvelle organisation émerge, encore plus brutale, encore plus sauvage : l’Etat islamique.
De 2014 à 2017, elle bâtit son califat syro-irakien et essaime dans le monde, jusqu’aux Philippines. Et elle frappe ses ennemis, chez eux. Soit massivement, en envoyant des kamikazes formés en Syrie, comme en novembre 2015 à Paris, soit en téléguidant depuis son sanctuaire des partisans qui n’ont jamais rejoint le califat, comme Larossi Abballa, qui assassine un policier et sa conjointe chez eux, à Magnanville, en juin 2016. Face à ce déferlement, une coalition se monte et frappe de plus en plus puissamment les cibles jihadistes en Syrie et en Irak. Les pays visés, dont la France, multiplient les lois et les mesures après chaque attentat. « Faire preuve de résilience, c’est aussi être capable de se donner du temps et d’agir calmement », notent Marc Hecker et Elie Tenenbaum.
La dernière phase, « l’étrange victoire », débute en 2018. Sous les bombardements, le califat de Daech s’effondre. Ses fiefs de Raqqa et Mossoul sont en ruine et ses combattants tués, capturés ou en fuite. Au niveau mon dial, les Etats-Unis se désengagent de la lutte contre le terrorisme et se concentrent sur la compétition avec la Chine. En Afghanistan, ils discutent avec les talibans et actent leur retrait, entamé le 1er mai. En Irak, ils réduisent le nombre de leurs soldats. En Syrie, ils ne laissent que quelques centaines d’hommes au Kurdistan. Mais ils n’ont pas gagné, le jihad n’est pas mort. L’Etat islamique et Al-Qaeda ont évolué et trouvé des terrains où prospérer, au Sahel en particulier et en Afrique en général.
Durant ces vingt ans, sous le coup des attentats, les pays occidentaux se sont fissurés et les tensions intercommunautaires se sont accentuées « au point de remettre en cause un certain “vivre-ensemble” caractéristique des sociétés démocratiques et libérales », expliquent les auteurs. Des groupes d’ultradroite se vantent de vouloir la guerre civile, ethnique ou religieuse.
- « Ni le jihadisme ni la mécanique infernale de l’extrémisme violent ne semblent épuisés. »
Le terrorisme, un mode d’action et non une idéologie, perdurera, malgré cette guerre de vingt ans.
Copyright Libération / Luc Mathieu
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