Macron et Merkel montent sur le ring
Une petite phrase de la chancelière sur le président français traduit la détérioration de la relation franco-allemande depuis plusieurs mois. « Wir ringen miteinander ». La petite phrase d’Angela Merkel sur Emmanuel Macron, extraite d’un entretien avec le quotidien Süddeutsche Zeitung, a mis mercredi soir le feu dans la pampa franco-allemande. Tout en confrontant les germanistes à la difficulté de traduire l’expression...
« Connaissant Angela Merkel, je crois qu’elle a volontairement choisi un mot assez vague », avance la journaliste allemande Michaela Wiegel – l’AFP parlait d’abord d’une « relation conflictuelle » avant de rapidement corriger en un plus soft « confrontations ». Pour la correspondante à Paris de la FAZ, la traduction la plus proche serait « bras de fer », le verbe « ringen » renvoyant à une lutte de caractère sportif, avec des règles mais plutôt physique, un peu comme sur un « ring » de catch.
La sortie de la chancelière a en tout cas suscité une réaction immédiate d’Emmanuel Macron : « Nous devons accepter des désaccords momentanés, de ne pas totalement être d’accord sur tout, pour construire un compromis avec l’Allemagne ». Dans la soirée, l’Elysée et la Chancellerie se sont parlé pour calmer le jeu, à dix jours des élections européennes.
La relation politique franco-allemande s’est en effet sérieusement dégradée au cours des derniers mois. Dès octobre 2018, l’Opinion expliquait « pourquoi Macron agace les Allemands »... et les choses ne se sont pas arrangées depuis lors, en dépit de la signature, le 22 janvier à Aix-la-Chapelle, d’un nouveau traité bilatéral de « coopération et d’intégration ». Le projet initial d’Emmanuel Macron d’une relance de la construction européenne autour du moteur franco-allemand a du plomb dans l’aile. Et l’agacement est désormais réciproque de part et d’autre du Rhin, même si l’on feint de sauver les apparences. Et encore…
Lors de sa conférence de presse du 25 avril, le président Macron affirmait qu’il fallait « assumer d’avoir des désaccords (...), des confrontations fécondes », mais « toujours dans la recherche d’un compromis ». Mais au passage, il taclait l’Allemagne, « à la fin d’un modèle de croissance qui a beaucoup profité des déséquilibres de la zone euro » et dont « le modèle productif est contraire au projet social que je porte au niveau européen ». La petite phrase n’est pas passée inaperçue outre-Rhin, d’autant qu’Emmanuel Macron évoquait, dans la foulée, la fin de règne d’une Chancelière « à son dernier mandat ».
Dans l’entourage du chef de l’Etat, on reconnaît que la relation franco-allemande est « inconfortable » car « l’Allemagne est plus à l’aise avec une sorte d’Europe du commerce qu’avec une Europe puissance, telle que nous l’envisageons ». « La France a été enfermée dans un franco-allemand ritualisé », dénonce cet interlocuteur. « Parfois, il faut assumer qu’on n’est pas d’accord » et, même si « rien ne remplacera la relation franco-allemande », ce « socle n’est jamais suffisant ».
« Nous sommes dans une posture de clarté et de fermeté quand il le faut », ajoute la même source, reconnaissant qu’actuellement la relation bilatérale est « plus difficile qu’à d’autres moments ». Lors de sa conférence de presse, le président Macron assurait qu’il ne faut « jamais avoir peur d’affirmer sa voix, même quand elle est minoritaire » car « c’est le rôle de notre nation ».
« Il n’existe pas deux autres pays au monde qui ont une relation bilatérale aussi riche, mais nous sommes très différents »
A l’Elysée, on précise que « rien n’est plus faux que de dire : la France joue l’isolement », même si le constat d’un cavalier seul s’impose souvent. La Présidence met en avant les 20 pays de l’Union déjà visités par le chef de l’Etat, afin de sortir du tête-à-tête avec Berlin, dans lequel ses prédécesseurs sont in petto accusés d’avoir enfermé la France. « En quinze ans, Merkel a créé un réseau, elle a compris le jeu européen. Il n’y a pas de raison que la France n’en joue pas aussi », avance-t-on à l’Elysée.
On insiste aussi sur les cycles politiques, avec l’idée que Merkel incarne le passé et Macron l’avenir : « Il y a une reconfiguration de la relation. Avant, on cachait les désaccords. Le Président estime qu’il faut sortir du narratif pour faire avancer concrètement les choses ».
- Sauf que ça n’avance pas comme l’Elysée l’aurait souhaité, c’est-à-dire avec une France qui « propose » et une Allemagne qui répond aux projets d’Emmanuel Macron. Le discours de la Sorbonne de septembre 2017 ou la Lettre aux citoyens d’Europe en mars dernier n’ont pas eu l’effet escompté. Et les nuages continuent à s’accumuler sur fond de « divergences structurelles », comme le remarque Hans Stark, de l’Institut français des relations internationales (Ifri). « Il n’existe pas deux autres pays au monde qui ont une relation bilatérale aussi riche, mais nous sommes très différents », pointe le politologue allemand.
Cette différence, l’Elysée et de nombreux responsables français peinent à la comprendre ou à l’accepter. C’est ce que dit Angela Merkel dans son entretien à la Süddeutsche Zeitung, à propos du président Macron : « Nos mentalités diffèrent sur certains aspects et, dans une certaine mesure, nous envisageons nos rôles différemment ». En Allemagne, le rôle politique de la chancelière fédérale n’a rien à voir avec l’omnipotence monarchique d’un président français. Très dépendante du Bundestag, elle partage le pouvoir avec ses grands ministres, tout en assurant la cohésion d’une coalition entre plusieurs partis et, qui plus est, en tenant compte de l’existence des Etats fédérés (Länder).
A l’approche des élections européennes, la situation se crispe car « la logique partisane pousse finalement à se fâcher entre Etats », note Jean-Dominique Giuliani, de la Fondation Robert-Schuman. « Merkel, c’est d’abord le PPE », le Parti populaire européen dont la CDU est la colonne vertébrale. Et les macronistes de LREM souhaitent en finir avec la toute-puissance du PPE, pour recomposer le pouvoir européen autour d’eux. D’où l’opposition farouche de la France à l’idée d’un Spitzenkandidat qui permettrait à l’Allemand Manfred Weber (CSU) d’être le prochain président de la Commission européenne.
Certes, Merkel ne le soutient que du bout des lèvres, mais elle n’a pas les mains complètement libres en Allemagne.
- « Au niveau européen, les macronistes sont alliés avec le FDP, le parti de droite libérale de Christian Lindner qui est, à Berlin, dans l’opposition avec Merkel », remarque Hans Stark. « Et Nathalie Loiseau jette de l’huile sur le feu quand elle dit que les anciennes formations comme le PPE doivent céder la place. Outre-Rhin, c’est le vocabulaire du parti d’extrême droite AfD, alors que nos grands partis font tout pour la vie politique n’explose pas ».
Cet article est disponible sur le site de l'Opinion.
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