Macron-Merkel : "Parler de tensions me semble excessif"
En reconnaissant des "confrontations" avec son homologue français, la chancelière allemande met en lumière le creusement d'un fossé entre Paris et Berlin.
Entre Emmanuel Macron et Angela Merkel, l'idylle des premiers jours a un goût de paradis perdu. Dans une interview au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung mercredi, la chancelière a reconnu avoir des "confrontations" avec son homologue français. "Il existe entre nous des différences de mentalité ainsi que des différences dans la conception de nos rôles respectifs", a-t-elle insisté.
Depuis plusieurs mois, les deux dirigeants ont en effet multiplié les divergences sur plusieurs dossiers comme les reports du Brexit accordés au Royaume-Uni, les négociations commerciales avec les États-Unis, ou le gel des ventes d'armes à l'Arabie Saoudite décidée outre-Rhin après l'assassinat de Jamal Khashoggi.
Dans ce contexte, ces déclarations d'Angela Merkel sont-elles le symptôme d'un malaise croissant entre Paris et Berlin ? L'Express a interrogé Hans Stark, secrétaire général du Comité d'études des relations franco-allemandes de l'Institut français des relations internationales (IFRI).
L'Express : Les déclarations d'Angela Merkel à la presse allemande sont-elles révélatrices de tensions au sein du couple franco-allemand ?
Hans Stark : Je pense que c'est une façon de mettre en évidence l'existence de divergences entre Angela Merkel et Emmanuel Macron. De là à parler de tensions, cela me semble excessif. Mais on sait depuis longtemps que la France et l'Allemagne ont des positions très différentes sur un certain nombre d'enjeux, même si cela peut évoluer.
Un exemple typique de désaccord est la question du budget de la zone euro. Au départ, la France y était favorable, alors que l'Allemagne souhaitait d'abord avoir des éclaircissements : savoir à quoi cela servirait, comment on le financerait et dans quelles conditions ce serait utilisé.
Il en va de même concernant l'autonomie stratégique européenne que prône Emmanuel Macron. Sur ces deux exemples, les discussions avancent difficilement. Et cela traduit l'existence de désaccords presque structurels entre nos deux pays.
Pour quelle raison ces désaccords s'affichent-ils aujourd'hui dans la presse ?
Parce que nous sommes en campagne électorale. La République en marche, qui représente la majorité en France, ne soutient pas la famille politique du Parti populaire européen (PPE). Or l'union chrétienne-démocrate (CDU) d'Angela Merkel fait partie de ce groupe.
Il y a donc un contexte de confrontation politique en vue de former une nouvelle majorité au sein du Parlement européen. Angela Merkel tente de se détacher pour se donner du relief. Je pense que c'est en raison de la campagne électorale que ces divergences éclatent au grand jour, et qu'elles sont affichées par le président français et la chancelière allemande. Mais il n'y a pas non plus une rupture de confiance ou un arrêt de la coopération franco-allemande. Ce sont simplement des prises de position différentes.
Par ailleurs, il y a peut-être une question de style politique qui entre aussi en jeu. Emmanuel Macron a indiqué mercredi préférer "la confrontation féconde" à "l'entente stérile".
Cette déclaration d'Angela Merkel n'isole-t-elle pas un peu plus Emmanuel Macron sur la scène européenne ?
Le président français est déjà un peu isolé mais, en même temps, il est devenu la figure centrale du débat européen. Les ambitions qu'il affiche pour la construction européenne ne trouvent pas directement d'échos favorables chez ses partenaires, qui restent hésitants pour certains, voire récalcitrants pour d'autres.
Nous ne sommes pas actuellement dans une phase de réel approfondissement de la coopération européenne. Face aux propositions d'Emmanuel Macron, les Pays-Bas et d'autres pays s'opposent sur la question du budget de la zone euro, l'Allemagne se fait frileuse concernant la politique de sécurité commune. Donc la France se retrouve souvent un peu seule sur ces sujets, et ses propositions ne trouvent pas forcément d'écho chez ses voisins.
En même temps, lorsqu'on regarde le débat européen, le pays qui occupe le devant de la scène, c'est la France, parce que c'est le seul à faire des propositions. C'est la France qui donne le ton.
Afficher ses désaccords avec Emmanuel Macron serait un moyen de freiner le président français pour la chancelière allemande ?
Sans doute, mais c'est aussi de dire qu'on peut reconnaître nos désaccords et tout de même avancer de façon honnête dans nos discussions. Nous réfléchissons par exemple aujourd'hui sur l'autonomie stratégique européenne, ce qui n'était pas le cas il y a cinq ans. S'il n'y a pas d'accord pour l'instant, c'est déjà un pas important que d'en discuter. Et c'est en partie grâce à Emmanuel Macron. Je pense que le président français lance des idées et n'hésite pas à secouer le cocotier, y compris celui des relations franco-allemandes.
Mais ça ne peut pas toujours aller au rythme voulu par Paris. Lorsque Emmanuel Macron a fait son discours sur l'Europe à la Sorbonne en 2017, il ne pouvait pas être suivi directement par Berlin. En effet, cette allocution a eu lieu trois jours après les élections fédérales allemandes et nous n'avions toujours pas formé un gouvernement légitime à même de pouvoir répondre aux propositions françaises.
Comme l'a dit Angela Merkel dans le Süddeutsche Zeitung, le processus de décision est complexe en Allemagne. Emmanuel Macron, lui, a une majorité forte sur laquelle il peut s'appuyer à l'Assemblée, et il n'a pas à s'expliquer devant le Parlement, ou à éventuellement accepter des contre-propositions de l'opposition. Angela Merkel c'est différent, elle est responsable devant le Parlement, elle a une majorité complexe composée de trois partis, et n'a qu'une courte majorité au Bundestag. En France, c'est beaucoup plus vertical et le processus de décision est rapide. Donc la chancelière allemande est confrontée à des contraintes institutionnelles que le président français n'a pas.
Voir l'article sur le site de l'Express.
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