Mauritanie: succession à l’amiable au pouvoir
Mohamed Ould Ghazouani ne devrait avoir besoin que d’un tour, ce samedi, pour remporterl'élection présidentielle mauritanienne. Les pronostiqueurs de rue, en l’absence de sondages fiables, s’interrogeaient seulement sur sa capacité à franchir les 60 %. Même si le hasard conduit à l’organisation d’un second tour, il est promis à la Mauritnaie, qui a vécu un nombre incalculable de coups d’État, de connaître, selon une formule utilisée à Nouakchott, sa «première alternance pacifique entre militaires».
Cette présidentielle ouvre un nouveau chapitre de l’histoire écrite par le couple d’officiers supérieurs Mohamed Ould Abdel Aziz et Mohamed Ould Ghazouani.
Tous deux étaient derrière le coup d’État qui porta au pouvoir le colonel Mohamed Vall en 2005. Ils déposèrent ensuite, en 2008, un an après son élection, le premier civil ayant osé interrompre le règne des militaires. Mohamed Ould Abdel Aziz arriva ainsi dans ses habits de général fraîchement nommé à la présidence, avant de se faire élire comme chef de l’État en 2009, puis réélire en 2014. Mohamed Ould Ghazouani, devenu à son tour général, était toujours à ses côtés, comme chef d’état-major de l’armée, puis récemment comme ministre de la Défense, jusqu’à ce qu’il débarque dans l’arène politique pour cette présidentielle.
Longtemps la Mauritanie a cru à un troisième mandat d’Aziz, jusqu’à ce que celui-ci renonce définitivement, en janvier de cette année, à modifier la Constitution, et lance la candidature de son fidèle. L’«alternance pacifique», selon la formule utilisée par le pouvoir, est, en fait, plus une «succession pacifique» entre deux hommes qui, pour être de caractères opposés, ne se sont pas quittés depuis leur rencontre à l’école militaire. Mais évidemment, et tout Nouakchott aime à écrire à ce sujet de multiples scénarios en sirotant des thés à la menthe, le pouvoir éloignera peut-être les deux compères, jusqu’à rendre effective, cette alternance promise…
L’opposition n’a jamais digéré qu’Aziz interrompe en 2008 le mandat du deuxième président civil que connut la Mauritanie après Moktar Ould Daddah, le héros de l’indépendance renversé par un putsch trente ans plus tôt, en 1978. Bien que désunie, elle a souvent utilisé l’arme du boycott, refusant notamment de participer à la dernière présidentielle de 2014. Mais tous ses principaux partis et personnalités sont revenus dans le jeu démocratique aux dernières élections de septembre 2018, qui ont consacré la suprématie du parti présidentiel, l’UPR, sur l’échiquier politique. L’Union pour la République a ainsi remporté la majorité absolue lors de ces législatives, qui étaient couplées avec des municipales et des régionales, également gagnées par l’UPR, qui a «raflé» 162 des 208 mairies et les 13 conseils régionaux du pays. «Pourquoi les gens voteraient-ils différemment un an plus tard?», remarque le journaliste du Quotidien de Nouakchott, Khalilou Diagana.
- Le chercheur à l’Ifri Alain Antil a récemment décrit comment en Mauritanie «un bloc hégémonique au centre de la vie politique contrôle le pays »*. Le poids démesuré de la présidence, qui gère le Parlement et n’est en réalité face à aucun contre-pouvoir politique ou institutionnel sérieux, pèse sur la commission électorale, les listes d’électeurs, les médias et le monde économique. Se chargeant des nominations dans quasiment tous les secteurs, la présidence installe «de multiples chaînes clientélistes».
- «Le bloc hégémonique, souligne ainsi Alain Antil, résiste aux changements de président, de parti présidentiel, et de groupes économiques qui lui sont consubstantiels, car il représente le haut d’une pyramide de redistribution des ressources.»
L’éducation pour fédérer
Le passage de témoin entre Aziz et Ghazouani s’inscrit dans ce cadre. À 62 ans, l’actuel candidat du pouvoir, aussi affable et courtois que le chef de l’État sortant était éruptif et cassant, a même réussi à élargir ce cadre de la majorité présidentielle, plusieurs personnalités de différents partis de l’opposition l’ayant rejoint durant cette campagne. En plaçant l’éducation au cœur de son programme, Mohamed Ould Ghazouani, l’homme qui a rebâti l’armée et gagné la bataille contre les terroristes (voir ci-dessous), a choisi un thème fédérateur qui ratisse très largement. Il promet de reconstruire une «école publique républicaine» capable de réduire la fracture entre la population maure et le bloc des déshérités que composent les anciens esclaves, appelés Haratines, et les afro-mauritaniens, qui sont surtout peuls et sonikés.
À la manière d’un tribun communiste de l’ancien monde, Biram Ould Dah Ould Abeid s’adresse justement à ces déshérités noirs de peau qu’il oppose, dans une dialectique pas franchement subtile, aux Maures au teint plus clair. À la dernière présidentielle de 2014, brisant la consigne de boycott de l’opposition, il avait obtenu 9 % des voix. Il pourrait encore progresser, bien que la concurrence cette fois-ci soit plus rude. Sidi Mohamed Ould Boubacar, deux fois premier ministre, en 1992-1996, puis entre 2005 et 2007, est, à 62 ans, un candidat sérieux. Non sans humour, l’une de ses affiches électorales vante «le changement civil», pour mieux se différencier du candidat du pouvoir. Boubacar est soutenu par Tewassoul, le premier parti de l’opposition, proche des Frères musulmans.
Le rapport de force entre Biram et Boubacar, qui se battent pour la deuxième place, permettra de jauger l’influence des islamistes et le poids du discours radical anti-Maures au sein de la société mauritanienne. La quatrième place devrait revenir à Mohamed Ould Mouloud, représentant historique de cette opposition de gauche qui peu à peu décline et s’apprête à disparaître, faute de relève.
*«Les Évolutions paradoxales de la démocratie mauritanienne», Alain Antil, Politique étrangère, N° été, Ifri, 2019
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