Numérique : « Avec Joe Biden, il ne faudra pas escompter une inflexion majeure de la politique américaine »
Même si des évolutions de style sont attendues à la Maison Blanche, le 46e président des Etats-Unis devrait défendre d’abord les interêts nationaux, estime, dans une tribune au « Monde », Julien Nocetti, chercheur associé à l’Ifri.
L’élection de Joe Biden à la présidence des Etats-Unis présente à l’évidence une série d’occasions pour les Européens, pressés d’en finir avec un Donal Trump qui a détricoté les institutions internationales et le multilatéralisme, puis enrayé les chaînes d’approvisionnement technologiques. Parmi les enjeux-phares qui attendent le nouveau président figure la question numérique.
Placée au cœur de la rivalité sino-américaine, la transition numérique structure la vie politique et économique internationale. Sous la présidence de Donald Trump, les Etats-Unis ont mené dans ce domaine une politique d’« exceptionnalisme » à tous crins, sans considération pour le coût diplomatique d’actions unilatérales. Souvent mues par une volonté de porter en étendard le slogan de l’« America first » : ainsi en a-t-il été des restrictions imposées à l’immigration – hostilement ressenties dans la Silicon Valley – et des séries de mesures protectionnistes et d’annonces de relocalisations d’emplois.
Le choix assumé d’un bras de fer avec le chinois Huawei symbolise ce repli, motivé par deux autres ingrédients : la crainte de l’Amérique de perdre le leadership technologique mondial face à la Chine, et l’intensification qui en découle d’un rapport de force décomplexé avec Xi Xinping [le président chinois]. En conséquence d’une politique agressive vis-à-vis de Pékin, les Etats-Unis ont mécaniquement favorisé l’accélération par la Chine d’une démarche d’autosuffisance technologique qualitative, désormais érigée en priorité stratégique par la direction chinoise.
Frictions répétées
Avec le 46e président des Etats-Unis, il ne faudra toutefois pas escompter une inflexion majeure de la politique américaine, en dépit des évolutions de style espérées.
En premier lieu, Joe Biden n’inversera pas le cours de la relation avec la Chine. La compétition avec Pékin figure au premier rang des préoccupations américaines depuis le premier mandat de Barack Obama (2008-2012). Alors vice-président, Joe Biden avait été aux premières loges des frictions répétées entre Washington et Pékin au motif de cyberespionnage et de vol de propriété intellectuelle par des hackeurs chinois, puis des efforts d’apaisement qui ont culminé avec la signature, en 2015, d’un accord de non-agression mutuelle dans le cyberespace… qui a fait long feu.
Depuis 2018, le durcissement notable contre l’ascendance technologique chinoise demeure une tendance de fond de la politique de Washington, au-delà des clivages partisans. Joe Biden conservera le même corpus doctrinal sur la Chine – coercition via sanctions – tout en opérant un changement de méthode. Il est ainsi fort probable que les sanctions contre Huawei perdurent, sans surenchère ni mise en scène outrancière. Cependant, un desserrement de l’étau américain sur certains acteurs technologiques chinois est possible : dans le secteur stratégique des semi-conducteurs, les décrets anti-Huawei de Trump s’étaient ainsi durement répercutés sur l’industrie américaine.
Magistère moral
Deuxièmement, l’administration Biden s’engagera dans une entreprise de restauration du magistère moral des Etats-Unis en matière numérique – entamé sous Obama à partir des révélations du [lanceur d’alerte] Edward Snowden, annihilé avec Trump. Il est peu de dire que le discours d’Hillary Clinton sur la « liberté d’Internet » (2011) est loin : en 2020, les Etats-Unis n’incarnent plus la défense des libertés numériques. Il s’agit là d’un tournant majeur que Joe Biden devra considérer finement, en particulier dans son rapport aux Gafam [Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft], et qui interroge la place – ou le retour – des « valeurs » dans la politique extérieure américaine.
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Julien Nocetti, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI), est professeur à Saint-Cyr Coëtquidan (Morbihan) et dirige la chaire « Gouvernance du risque cyber » à Rennes School of Business.
> Lire l'article intégral sur le site du Monde
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