Ouïghours : des pays musulmans, dont la Palestine, soutiennent-ils la politique de la Chine ?
Dans une déclaration conjointe lue au Conseil des droits de l'homme de l'ONU le 1er juillet, 46 pays appuient l'action de la Chine dans le Xinjiang.
Quel est le statut de cette «lettre» ? «Ce document est une déclaration commune qui a été lue [par le représentant de la Biélorussie] lors d’une réunion officielle du Conseil des droits de l’homme le 1er juillet, lors d’une discussion interactive avec la haute-commissaire aux droits de l’homme, Michelle Bachelet», explique à CheckNews le service communication du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Le texte en question est consultable sur le site de la mission permanente de la Chine à Genève.
Ce communiqué conjoint répond à une autre déclaration commune émise par le Royaume-Uni et signée par 27 pays dont la France, l’Allemagne, le Japon ou encore la Nouvelle-Zélande. Les Etats signataires interpellaient Michelle Bachelet et le gouvernement chinois sur la situation des Ouïghours dans le Xinjiang, ainsi que sur la nouvelle loi sur la sécurité nationale à Hongkong. Cette déclaration est datée du 30 juin, soit la veille de la lecture du communiqué biélorusse au Conseil.
«Les Chinois s’attendaient à une déclaration sur Hongkong [lors de cette 44e session du Conseil des droits de l’Homme, ndlr], mais une sur le Xinjiang était peut-être moins attendue. D’ailleurs, pour Hongkong, il y avait une déclaration [de réponse] le même jour de Cuba qui était prévue et préparée», analyse Marc Julienne, chercheur au Centre Asie de l’Ifri.
Sans mentionner les Ouïghours, les Etats signataires du texte de soutien à la Chine appuient la politique «antiterroriste» de la Chine dans le Xinjiang. Ils saluent la sauvegarde «des droits de l’homme des personnes de tous les groupes ethniques du Xinjiang» et dénoncent «des allégations infondées contre la Chine», issues, selon eux, d’une campagne de «désinformation». Ils rejettent ainsi les accusations de violations des droits de l’homme commises dans le cadre de la politique «antiterroriste» chinoise, tout comme Pékin, qui nie l’existence de camps de prisonniers et parle de «centres de formation professionnelle».
Troisième acte
Cet échange s’inscrit dans une bataille diplomatique commencée il y a un an au sein des plus hautes instances internationales. Le texte du 1er juillet est une copie quasi identique de deux déclarations précédentes destinées à répondre à des missives dénonçant les pratiques de la Chine contre ses citoyens musulmans. Une première fois en juillet 2019 dans le cadre du Conseil des droits de l’homme et une deuxième en octobre, lors d’une réunion de la commission des droits de l’homme des Nations unies. Et «ces trois textes trouvent leur origine dans un premier communiqué publié par la Chine elle-même, le 10 juillet 2019», explique Marc Julienne.
Le 8 juillet 2019, 22 Etats, en majorité européens, avaient en effet dénoncé les «détentions arbitraires […], la surveillance généralisée» à l’encontre des Ouïghours, dans une lettre commune, comme nous l’expliquions dans Libération. La représentation de la Chine à Genève avait répondu deux jours plus tard en défendant sa politique «de lutte contre le terrorisme et de déradicalisation». «Ces mesures se sont avérées très efficaces pour améliorer la sécurité du Xinjiang et protéger les droits fondamentaux de tous les groupes ethniques de la région», s’était-elle défendue. Le 12 juillet, pendant la 41e session du Conseil des droits de l’homme, 37 Etats l’avaient soutenue en publiant un communiqué, avec les «mêmes éléments de langage que [celui] de la Chine», analyse Marc Julienne.
Parmi ces 37 pays, 23 ont ensuite signé le communiqué du 1er juillet 2020 de la Biélorussie, comme l’Arabie Saoudite, l’Egypte, Cuba ou la Russie. La Palestine, en revanche, ne s’était pas jointe à cette première déclaration.
«La relation avec la Chine est plus importante que les droits de l’homme»
Pour quelles raisons des pays musulmans apportent-ils leur soutien ? Concernant le cas de la Palestine, Marc Julienne explique que «la Chine a eu une position très constante pour une solution à deux Etats». Et de rappeler qu'«il y a un fantasme de la solidarité islamique mondiale : on se dit que les pays musulmans devraient être solidaires, mais c’est quelque chose qui n’existe pas.»
«La plupart des pays ont signé par pragmatisme, même s’ils ne sont pas forcément d’accord avec ce qu’il se passe dans le Xinjiang, car la relation avec la Chine est plus importante que les questions de droits de l’homme», observe de son côté Adrian Zenz, un chercheur allemand indépendant, auteur de plusieurs rapports sur la répression des Ouïghours.
Comme on peut le lire dans l’article de Libération cité plus haut, certains Etats ont également un intérêt économique à défendre la Chine, et les pays musulmans qui lui ont apporté leur soutien n’échappent pas à cette réalité. En 2015, par exemple, Pékin a signé avec le Pakistan un accord économique historique afin de financer de nouvelles infrastructures. «En échange, la Chine s’offre un accès direct à l’océan Indien via le port en eau profonde de Gwadar, à l’extrême sud du Pakistan. Le "Corridor" est la plus importante des six "nouvelles routes de la soie" lancées par le président Xi Jinping en 2013», expliquions-nous dans un autre article sur le sujet.
Autres exemples : en 2017, la Guinée signe un accord avec la Chine à 20 milliards de dollars (17,6 milliards d’euros), là encore pour financer des infrastructures. En 2019, le Niger et la Chine annoncent la construction de 2 000 kilomètres d’oléoduc via le Bénin.
Le soutien qu’acquiert la Chine ne s’explique pas uniquement par un lien ou une dépendance économique. Ce n’est pas le seul facteur et ce n’est pas le plus important.
La même année, l’AFP explique par ailleurs que «le rapprochement sino-égyptien est le signe d’intérêts économiques croisés, mais aussi l’expression de convergences en faveur d’un ordre international "parallèle"». En effet, d’après Marc Julienne, «le soutien qu’acquiert la Chine ne s’explique pas uniquement par un lien ou une dépendance économique. Ce n’est pas le seul facteur et ce n’est pas le plus important».
Des Etats qui violent aussi les droits de l’homme sur leur sol
Dans une interview donnée à Libération en 2017, la sinologue Nadège Rolland soulignait l’ampleur du projet chinois des «nouvelles routes de la soie» : «On se focalise sur les infrastructures, alors que le projet comprend d’autres volets : coordination politique avec les pays, intégration monétaire et financière, formation des élites locales, rayonnement culturel, échanges dans le domaine de la sécurité…»
Cette bataille diplomatique dessine aussi l’opposition entre deux blocs : d’un côté les démocraties libérales, et de l’autre des pays considérés comme autoritaires et semi-autoritaires, largement représentés parmi les pays signataires des déclarations pro-Pékin.
«Ces Etats sont eux-mêmes confrontés à des violations des droits de l’homme ou des contestations qu’ils répriment violemment. Il y a une solidarité qui se met en place pour avoir le droit de réprimer les contestations internes», explique Marc Julienne. «La "solution chinoise" est attrayante pour les dirigeants qui ne veulent pas qu’on leur fasse la leçon sur leur gouvernance. Contrairement aux Occidentaux, Pékin n’a pas d’exigence sur le respect des droits de l’homme quand il investit», abonde la sinologue Nadège Rolland.
Le Like-Minded Group («groupe aux vues similaires») promeut au sein du Conseil des droits de l’homme une conception alternative des droits de l’homme, en opposition avec la conception traditionnelle. Le premier d’entre eux, c’est le droit au développement.
Sur ce point, Marc Julienne souligne le rôle d’un groupe informel à l’ONU, composé notamment de la Chine, la Russie, l’Egypte, l’Arabie Saoudite ou encore l’Inde et le Pakistan. Appelé «Like-Minded Group» («groupe aux vues similaires»), il «promeut au sein du Conseil des droits de l’homme une conception alternative des droits de l’homme, en opposition avec la conception traditionnelle. Le premier d’entre eux, c’est le droit au développement». Et le nombre de signataires, bien plus important du côté des pro-chinois, révèle «la défaillance des démocraties libérales», selon les mots de Marc Julienne. «C’est un jeu sur les nombres, et un jeu de rôles. La Chine est très forte pour cela», ajoute Adrian Zenz.
Lire l'article dans son intégralité sur le site de Libération.
Média
Partager