« Plus la Chine publie de preuves, moins Peng Shuai s’exprime d’elle-même »
La joueuse de tennis chinoise Peng Shuai, disparue depuis début novembre, est réapparue dans l’espace médiatique ce week-end. Thomas Bach, le président du Comité olympique international a même pu discuter par visioconférence avec elle. Mais les doutes demeurent toujours au sujet de sa liberté. Marc Julienne, chercheur et responsable des activités Chine à l’Ifri (Institut français des relations internationales), suspecte une stratégie de communication organisée par Pékin.
Où est Peng Shuai ? C’est la question qui a été massivement relayée depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux et dans le débat public international. La championne de tennis chinoise, gagnante de Roland-Garros en double en 2014, n’avait plus donné le moindre signe de vie depuis le 2 novembre dernier. Avant cette disparition soudaine, Peng Shuai avait publié un message sur Weibo, l’équivalent de Twitter en Chine, accusant l’ancien vice-Premier ministre chinois, Zhang Gaoli d’agression sexuelle.
Depuis vendredi, des images et des vidéos de la joueuse, publiés par des journalistes proches du pouvoir à Pékin, ont refait surface sur les réseaux sociaux. Avec en point d’orgue, ce dimanche, un entretien avec Thomas Bach, le président du Comité olympique international. L’organisme, qui organise les Jeux d’hiver à Pékin prochainement, a rassuré sur l’état de santé de la joueuse et sa supposée liberté. Pour autant, les doutes – légitimes – demeurent sur cette histoire. Marc Julienne, chercheur et responsable des activités Chine à l’Ifri, suspecte une stratégie de communication orchestrée par Pékin, afin d’étouffer au maximum l’affaire. Entretien.
Ce qu’il faut préciser d’emblée, c’est que Zhang Gaoli était le vice-Premier ministre de Chine. Mais encore plus important que ça, il est membre du comité permanent du bureau politique du Parti communiste chinois. Il fait partie des sept hommes les plus puissants de Chine, même s’il a quitté le pouvoir en raison de son âge, en 2017. Lorsque le message de Peng Shuai est publié sur Weibo, il a été censuré immédiatement. Et toute cette affaire est censurée en Chine. Son nom n’apparaît pas dans les médias et réseaux sociaux chinois. Les affirmations de Peng Shuai sont une attaque directe à l’intégrité et l’exemplarité du Parti communiste chinois. Pour eux, c’est un risque d’instabilité que fait porter la joueuse. Si les citoyens chinois se mettent à protester massivement contre les autorités chinoises en demandant des enquêtes, c’est un risque d’instabilité sociale. Et pour Pékin, il n’y a rien de plus important que la stabilité sociale.
Comment expliquer cette crainte d’un éventuel mouvement populaire à Pékin ?
Ça peut remettre en question la légitimité ou la survie du parti. Ils ont toujours les souvenirs de la chute de l’URSS ou du mouvement Solidarnosc, en Pologne. Pour eux, c’est parce qu’il y a eu des réformes, une ouverture économique ou qu’on a laissé des mouvements populaires s’exprimer que le parti communiste polonais a quitté le pouvoir. Tout ça pour dire qu’il y a une peur bleue de la part de Pékin de tout mouvement de contestation sociale. Et cette histoire, potentiellement, pourrait en être un. Une accusation de viol dans un contexte sordide avec la femme du vice-Premier ministre dans la maison, c’est quelque chose qui donne une image déplorable du Parti communiste chinois.
Elle porte une image positive de la Chine sur la scène internationale. Elle rend le Chinois amateur de sport fier. Le Parti, pour essayer de gérer cette crise, a totalement censuré cette affaire sur les réseaux chinois mais aussi à l’étranger. Le hashtag #WhereIsPengShuai, les prises de position des stars du tennis, l’association de tennis féminin (WTA) qui se prononce à ce sujet, ça en fait une affaire internationale. Donc pour tenter de calmer la crise, l’État chinois a essayé de donner des preuves de la bonne santé et de la liberté de Peng Shuai de façon très maladroite. Car tout ce que le parti a présenté comme preuve n’a fait qu’aggraver les préoccupations à l’étranger.
C’est-à-dire ?
D’abord, le mail. Ça a probablement été la pire chose à faire parce qu’on a aucun moyen de savoir si c’est un message de Peng Shuai ou une capture d’écran… Le problème c’est qu’ils essaient de calmer la crise mais ça ne masque pas d’énormes contradictions. Plus ils publient de preuves, comme les photos, vidéos ou l’entretien avec Thomas Bach, moins elle s’exprime d’elle-même. Il faut rappeler que cette communication n’existe que sur les réseaux et médias étrangers. Toutes les photos et vidéos que l’on voit, n’existent pas en Chine. Cette affaire n’existe pas à Pékin.
De quoi sérieusement douter du bien-fondé de sa réapparition ?
Elle refait surface après deux semaines de silence total, alors que l’affaire enfle dans le monde. Et elle répond simplement qu’elle se reposait chez elle… Si elle est vraiment en liberté, pourquoi ne prend-elle pas la parole ? Tout ce qu’on voit est quand même sacrément mystérieux. On la voit chez elle, signer des autographes dans un tournoi de jeunes à Pékin, écouter son coach dans un restaurant… Elle est extrêmement passive. On ne la voit pas s’exprimer.
Comment l’expliquer ?
D’une part, elle ne peut pas prendre la parole vu qu’en Chine, c’est une non-affaire. Ensuite, elle ne peut pas faire un communiqué en disant que tout va bien à un média étranger puisque ça impliquerait qu’elle doive parler avec un média étranger, ce qui n’a pas été fait jusqu’ici. Elle pourrait être conduite à le faire cependant comme les choses empirent.
On ne peut pas dire que cet entretien récent avec le Comité olympique international est rassurant, donc ?
Je ne trouve pas. Il n’y a qu’une photo et une citation de Peng Shuai disponibles. Et c’est un organisme officiel qui, actuellement, organise des Jeux à Pékin. Il n’a, peut-être, pas intérêt à ce qu’il y ait des troubles diplomatiques. Et puis alors que personne n’arrive à joindre Peng Shuai, le CIO y arrive. Notamment parce qu’ils ont un représentant chinois présent sur place, pour l’organisation locale. C’est donc probablement via les autorités chinoises qu’ils ont réussi à contacter la joueuse. C’est une hypothèse que je fais mais je ne prends pas beaucoup de risque à dire que cette visioconférence a été organisée par Pékin. C’est le problème : toutes les informations que l’on a, sont dispensées et organisées par le Parti communiste chinois. L’entrevue avec le CIO s’est faite dans un contexte extrêmement surveillé, où l’on n’a pas de vidéo et seulement une photo. Tout ça montre une stratégie de communication extrêmement bien contrôlée.
Est-ce courant de voir ce genre de disparitions puis réapparitions en Chine ?
Ça arrive régulièrement mais pour des raisons différentes. En général, c’est souvent parce qu’ils dévient de la ligne officielle du Parti, soit dans le discours ou dans leurs actes. Comme Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, par exemple. Il a critiqué les autorités bancaires de la République Populaire de Chine, ce qui a conduit à sa disparition pendant un certain temps. Quand il est réapparu, il avait une posture bien plus timide. Aujourd’hui, on le voit très peu. On a d’autres exemples avec des stars de cinéma comme Fan Bingbing, qui a disparu (en 2018) et est réapparue des semaines plus tard en présentant des excuses publiques, et en expliquant qu’elle avait fait des actions illégales. En gros, elle a salué le rôle du Parti qui l’avait remise dans le droit chemin. Récemment, il y a eu la comédienne Zhao Wei qui a disparu et toute sa filmographie a été effacée de l’internet chinois. Ces deux actrices ont pour point commun d’être des célébrités de rang international.
À quelques mois des Jeux de Pékin, c’est une mauvaise publicité pour la Chine…
Effectivement. Et au même moment, d’ailleurs, les deux sont peut-être liés, les États-Unis de Joe Biden, se sont déjà prononcés pour boycotter diplomatiquement les Jeux olympiques de Pékin. C’était quelque chose qui était prévisible. Peut-être que certains pays vont précipiter leur décision, ou y penser, de boycotter diplomatiquement les Jeux avec l’affaire Peng Shuai. C’est une situation compliquée pour Pékin. Pour le moment il la gère plutôt mal puisque la polémique enfle à l’étranger. Il y a également quelque chose de notable : le président de la WTA, a menacé directement de retirer ses activités en Chine. C’est très significatif car, habituellement, c’est la Chine qui utilise le levier économique pour menacer. Il a coupé l’herbe sous le pied au Parti. Pour le moment, ils sont bloqués comme ils ne peuvent pas trop s’exprimer puisqu’il faut absolument circonscrire cette polémique à l’extérieur des frontières chinoises. Mais pour les Jeux, les sportifs étrangers seront là et on pourrait imaginer que certains, sur place, témoignent leur solidarité pour Peng Shuai. Ce qui serait très problématique et inacceptable pour les autorités chinoises. Ils ne sont pas sortis de la crise.
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