Policière tuée à Rambouillet : " Pour les jihadistes, il est logique de s'attaquer aux représentants de la force publique "
Depuis 2015, 12 représentants des forces de l'ordre sont morts lors d'attentats en France. D'après le chercheur Marc Hecker, c'est l'Etat qui est ainsi visé.
Fusillade sur les Champs-Elysées en 2017, attaque de la préfecture de police de Paris il y a deux ans... Depuis 2015, une douzaine de représentants des forces de l'ordre ont été tués lors d'attaques terroristes. Le 23 avril 2021 c'est une fonctionnaire de police qui est morte après avoir été poignardée par Jamel Gorchane, un homme de 36 ans, au commissariat de Rambouillet (Yvelines). Marc Hecker, directeur de recherche à l'Institut français des relations internationales (Ifri) et auteur de La Guerre de vingt ans. Djihadisme et contre-terrorisme au XXIe siècle", revient sur ce phénomène.
Franceinfo : Que recherchent les jihadistes en s'attaquant aux policiers ?
Marc Hecker : Ils visent l'Etat français à travers ses représentants. Cet Etat est à la fois honni et ennemi pour les jihadistes. De plus, les policiers et les gendarmes ne sont pas n'importe quels représentants de l'Etat : ils incarnent la force publique.
La France est présentée dans la propagande jihadiste comme un pays en guerre contre l'Islam, que ce soit à l'extérieur de ses frontières par ses interventions militaires dans le monde musulman ou sur le sol français. La laïcité est vue par cette mouvance comme une forme d'islamophobie institutionnalisée. En 2016, au moment de la polémique sur le burkini, les images de policiers contrôlant une femme voilée sur une plage ont alimenté cette propagande.
"En s'attaquant aux forces de sécurité ou de défense, les jihadistes sont dans cette logique de guerre."
Marc Hecker, chercheur à l'Ifri
Par ailleurs, dans la façon de penser des jihadistes, il est logique et valorisant d'aller chercher l'affrontement avec les représentants de la force publique. Ils pensent que s'ils meurent, ils obtiendront le statut de martyr. Il ne s'agit pas d'une opération-suicide dans le sens où ils ne mettent pas fin eux-mêmes à leurs jours à l'instar d'un terroriste qui actionnerait une ceinture d'explosifs. Mais ils savent qu'ils s'exposent au feu adverse et risquent de périr.
Les différentes attaques terroristes qui ont visé les forces de l'ordre ces dernières années en France sont-elles comparables ?
On peut tenter de faire une sorte de typologie des attaques contre les policiers. Il y a d'abord celles que l'ont peut qualifier d'opportunistes, c'est-à-dire que la cible première n'est pas les forces de l'ordre, mais vu que celles-ci sont amenées à intervenir sur les lieux d'une attaque, à ce moment-là il va y avoir une confrontation avec les jihadistes en question. Par exemple, lors de l'attaque du marché de Noël de Strasbourg en 2018, Cherif Chekatt est tombé, au cours de son périple meurtrier, sur une patrouille de militaires de l'opération Sentinelle. Mais ça n'était pas sa cible première.
Ensuite, il y a un deuxième cas où les policiers sont visés en tant que tel par un jihadiste ayant un passé délinquant qui haïssait déjà la police avant sa radicalisation. L'exemple le plus emblématique est celui de l'attaque de Karim Cheurfi qui a tué un CRS sur les Champs-Elysées en 2017. Dans son passé criminel, il avait déjà essayé de tuer un policier.
Et puis, il y un troisième type d'attaque, celui de l'infiltration. L'exemple le plus marquant est celui de la préfecture de police de Paris en 2019. L'attaquant travaillait sur place et a ciblé ses collègues. A priori, le cas de Rambouillet ne rentre dans aucune de ces catégories, mais il faut attendre les résultats de l'enquête.
Les forces de l'ordre sont-elles particulièrement visées par les jihadistes en dehors de la France ?
Dans les pays du monde musulman où les jihadistes ont mené ou mènent encore une véritable guérilla comme l'Afghanistan, l'Irak ou le Mali, les forces de sécurité et de défense sont très souvent visées. Il y a des embuscades, des attaques contre des camps militaires ou encore des assassinats ciblés.
En Europe, il y a eu plusieurs cas en Belgique ou encore au Royaume-Uni. On se souvient par exemple de l'attaque à la machette contre un militaire britannique à Woolwich en 2013 ou du démantèlement du réseau de Verviers en 2015 qui voulait faire un carnage dans un commissariat de police.
Mais il est vrai que d'un point de vue statistique, la France a été plus touchée par ce phénomène que ses voisins. Je ne saurais pas l'expliquer. On pourrait même être surpris que la police n'ait pas été davantage ciblée dans d'autres pays.
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