Politique internationale : les habits neufs du président Trump
Le contraste est saisissant entre les propos outranciers du candidat Trump et le premier discours du président élu. Donald Trump s’est montré étonnamment prudent pour célébrer sa victoire comme si les exigences de sa charge le contraignaient déjà. Une culture stratégique comme celle des Etats-Unis ne peut changer du jour au lendemain.
Est-ce à dire que nous assistons à la conversion express d’un isolationniste provocateur en réaliste pragmatique ? Probablement pas encore. A cette heure, les incertitudes restent trop nombreuses sur son comportement personnel en raison de son inexpérience, sur la composition de son équipe gouvernementale et sur les réactions internationales à ses premières décisions.
Donald Trump devrait comprendre qu’il est plus facile de vaincre Hillary Clinton que de convaincre Xi Jinping et Vladimir Poutine de Make America Great Again !, pour reprendre son slogan. Si l’heure est aux mâles dominants, les premiers contacts seront décisifs pour la suite. Et tout faux-pas se paiera comptant. Démocratiquement élu pour quatre ans, Donald Trump va se retrouver face à deux dirigeants autoritaires, sûrs d’eux et rompus aux questions internationales. Les semaines qui le séparent de son investiture seront décisives pour préparer leurs premières rencontres. Chine et Russie constituent, en effet, les deux dossiers sur lesquels le nouveau président aura été le plus constant au cours de la campagne. Pour simplifier, il préconisait une confrontation géoéconomique avec la Chine, accusée de manipuler sa monnaie, et un rapprochement géopolitique avec la Russie, créditée d’une clairvoyance au Moyen Orient. A la première, il a promis une « guerre commerciale » ; à la seconde il a promis un « grand accord ». Une telle approche remettrait en cause les équilibres stratégiques et la structuration même du système international.
En lançant une « guerre commerciale » avec la Chine, Donald Trump prendrait le risque de rétorsions immédiates, qui ne manqueraient pas d’affecter la croissance américaine. A Pékin, Xi Jinping s’est dit « impatient » de travailler « sans confrontation » avec le nouveau président. Le maître mot des autorités chinoises reste celui de « stabilité ». De prime abord, l’isolationnisme de Donald Trump pourrait permettre à Pékin d’accentuer son influence en Asie, mais ce serait faire peu de cas du complexe militaro-industriel aux Etats-Unis. Fruit d’un consensus bipartisan incontesté, ce dernier entend maintenir sa suprématie notamment vis-à-vis de la Chine. De plus, le nouveau président a fait de la relance des dépenses militaires un objectif de campagne. Fondamentalement, sa marge de manœuvre demeure étroite en raison du degré d’interdépendance des deux économies et de la montée en puissance militaire de la Chine.
Le problème se pose très différemment avec Moscou où l’on considère que l’élection d’Hillary Clinton aurait probablement conduit à une confrontation. Donald trump dispose d’une vraie marge de manœuvre vis-à-vis de la Russie. Vladimir Poutine a réagi sobrement en appelant à retrouver "une trajectoire de développement stable". Dans quelle mesure la Russie et les Etats-Unis peuvent-ils améliorer leurs relations ? Eviter la confrontation serait évidemment un résultat tangible, notamment pour les Européens, mais il n’est pas sûr que les deux pays puissent aller beaucoup plus loin. Jusqu’à présent, Donald Trump a considéré les relations avec Moscou uniquement dans une optique de rapprochement pour se distinguer d’Hillary Clinton. Au grand dam des pays baltes ou de la Pologne, la Russie ne constitue pas, à ses yeux, une menace directe sur la sécurité européenne. A la différence d’autres membres du parti républicain, il n’a jamais envisagé d’élargir l’OTAN à la Géorgie ou à l’Ukraine, et s’interroge ouvertement sur l’utilité de l’Alliance. Pour lui, les pays membres de l’OTAN doivent consentir des efforts budgétaires supplémentaires pour garantir leur sécurité.
En réalité, la véritable inconnue réside aujourd’hui dans les formes que prendrait un choc des nationalismes chinois, russe et américain dans un contexte de forte interdépendance économique. Frontal, ce choc aurait des conséquences immédiates non seulement en Asie et en Europe, mais aussi au Moyen Orient et dans la région arctique. Diffus, il produit déjà ses effets dans les domaines du numérique et de l’énergie. La Chine et les Etats-Unis sont engagés dans une rivalité stratégique, susceptible de remettre en cause le leadership américain à horizon d’une génération. C’est pourquoi le positionnement de Moscou est si important pour Pékin et Washington. Contrairement à ce que prétendait Barack Obama, la Russie n’est pas une simple « puissance régionale », mais un pays qui a retrouvé un rôle central sur la scène internationale.
Donald Trump sera-t-il en mesure de transformer son intuition personnelle en véritable politique étrangère ? Ce n’est pas sûr. Passés les échanges d’amabilité, le nouveau président va découvrir que le régime russe est structurellement alimenté par un antiaméricanisme viscéral et un recours à la guerre limitée pour justifier son organisation et ses priorités. L’antiaméricanisme pourrait être limité, mais cela impliquerait une nouvelle politique de l’information, et donc une forme de renonciation à la guerre hybride conduite par le Kremlin. Sans être impossible à envisager, cette option n’est pas à l’ordre du jour à Moscou. Le recours à la guerre limitée est beaucoup plus problématique : la Russie s’est engagée dans un cycle d’interventions extérieures au moment même où les puissances occidentales, Etats-Unis en tête, devraient limiter les leurs. Elle compte bien continuer à exploiter l’effet de vide produit par les erreurs occidentales et les incertitudes liées à Donald Trump. C’est tout le sens de la campagne en Syrie. Autrement dit, les relations russo-américaines peuvent tout aussi bien s’améliorer que se dégrader rapidement. Aux Européens d’en tirer les enseignements en matière d’autonomie stratégique.
Thomas Gomart, directeur de l'Ifri.
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