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"Pour le camp occidental, le rôle que jouera la Turquie dans le dénouement de la crise ukrainienne est crucial"

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La présidentielle de 2023 n’est pas étrangère au repositionnement géopolitique du président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui se campe en médiateur dans le conflit en Ukraine. Mais la neutralité d’Ankara reste ambivalente, analyse Dorothée Schmid, spécialiste du monde méditerranéen, dans une tribune au « Monde ».

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Turquie Ukraine Russie
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Elif Bayraktar/Shutterstock
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Tribune. Les efforts diplomatiques pour contenir la crise ukrainienne ont entraîné un développement inattendu : la France et la Turquie, toutes deux en première ligne pour obtenir un cessez-le-feu, ont annoncé le 25 mars une initiative commune avec la Grèce sur Marioupol [sud-est de l'Ukraine]. Triangulation inespérée après plusieurs années d'une tension diplomatique qui a connu un pic en juin 2020, lorsque la France et la Turquie sont passées tout près d'un incident militaire au large des côtes libyennes. La signature d'un partenariat stratégique franco-grec un an plus tard n'avait rien arrangé, les Français se berçant encore de l'illusion d’une Turquie aux abois, en délicatesse avec tous ses voisins, brouillée avec l’OTAN, tenue en respect par l’Union européenne et mise sous pression par la Russie.
 
Le diagnostic d’une faiblesse diplomatique turque ne correspond pourtant plus à ia réalité.Certes,le régime traverse des diffîcultés intemes : il est dans une mauvaise passe sur le plan économique et le président Recep Tayyip Erdogan affrontera, en 2023, des échéances électorales compliquées. L’usure du pouvoir est manifeste après vingt ans de verrouillage politique, et l’opposition s’organise pour offrir une altemative à l’alliance entre les islamistes et l’extrême droite qui amuré la Turquie dans un nationalisme revanchard. Une chose est sûre: Recep Tayyip Erdogan ne renoncera pas facilement au pouvoir l’année du centenaire de la République turque.
 
Du point de vue de la politique étrangère, deux voies étaient possibles pour préparer cette échéance : celle d’une nouvelle montée aux extrêmes afin de consolider la base nationaliste ; ou, plus inattendue mais désormais crédible, se dessine l’hypothèse d’une Turquie qui assume de façon mature les dividendes de la puissance patiemment reconstruite en deux décennies.
 
Faiseur de paix
 
Le rétablissement diplomatique spectaculaire réussi depuis 2021 pose, en effet, la Turquie plus en faiseur de paix qu’en fauteur de guerre, et pas seulement dans le contexte ukrainien. Si Erdogan s’était isolé dans une forme d’expansionnisme paranoïaque depuis 2016, année marquée par une tentative de coup d’Etat, on assiste au retour des fondamentaux d’Ahmet Davutoglu, l’ancien ministre des affaires étrangères [2009-2014] artisan du soft power turc : une Turquie géopolitiquement centrale et en paix avec ses voisins. La fin de la brouille avec l’axe régional anti-Frères musulmans, déclenchée par les « printemps arabes » en 2011, est pratiquement actée : les relations longtemps exécrables avec les Emirats arabes unis sont désormais au beau fixe et le réchauffement est en cours avec l’Arabie saoudite.
 
Seule l’Egypte refuse encore la main tendue, tandis que [le président syrien] Bachar Al-Assad reste un ennemi statutaire. La visite en Turquie du président israélien, début mars, marque la fin d’une dispute de plus de dix ans. La mise en scène du rapprochement avec le premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, de passage à Istanbul quelques jours plus tard, a aussi soulagé les Européens, tant le contentieux entre les deux pays est considéré comme un fardeau à l’heure où tous doivent se concentrer sur leur problème russe.
 

La Turquie entretient avec la Russie un rapport très spécial. L’héritage historique est celui d’une compétition impériale pour le contrôle de territoires et le maintien de zones d’influence en Europe, au Moyen-Orient, dans le Caucase et en Asie centrale. Le retour du refoulé impérial entretient, dans les deux pays, une pulsion révisionniste sur leurs frontières qui, parfois, les rapproche face aux Européens. Mais la concurrence des intérêts les oppose sur plusieurs théâtres : militairement, en Syrie et en Libye ; de façon indirecte en Afrique, où ils imposent leur coopération à la faveur des coups d’Etat qui s’y multiplient.

Les deux pays ont appris à composer partout pour éviter l’affrontement direct. Ils ont travaillé ensemble à une paix provisoire dans le Caucase après le conflit du Haut-Karabakh [à l’automne 2020], et la Turquie, soutien militaire de l’Azerbaïdjan, s’engage maintenant vers la normalisation de ses relations avec l’Arménie, sous l’œil des Russes. Economiquement, les Turcs sont dans une situation de dépendance énergétique (gaz) et alimentaire (blé) vis-à-vis de la Russie. Ils tentent de desserrer l’étau et leurs importations de gaz russe ont été pratiquement divisées par deux en quelques années.

Neutralité active

Recep Tayyip Erdogan, constamment et personnellement en affaire avec Vladimir Poutine depuis l’intervention russe en Syrie [en septembre 2015], connaît sans doute mieux qu’aucun autre chef d’Etat les leviers du régime russe et la psychologie de son leader. Souvent en situation de faiblesse, il est obsédé par le rééquilibrage de la relation et considère le succès de son intervention en Libye contre le maréchal Haftar, soutenu par les Russes, comme un tournant.

L’Ukraine figurait aussi, depuis quelque temps, sur la liste des sujets de friction entre les deux pays. Ankara entretient avec Kiev une coopération étroite et Erdogan s’y est encore rendu début février pour signer un accord de libre-échange. Il fournit des drones indispensables pour la défense du pays, a d’emblée appelé au respect de l’intégrité territoriale ukrainienne, et fermé après quelques hésitations le Bosphore aux belligérants – les forces navales russes « utiles » ayant déjà rallié leur poste en mer Noire. Alors que l’opinion turque se prononce massivement en faveur de la neutralité face au conflit, Erdogan parle de médiation. La Turquie veut, en réalité, être à la fois une chambre de compensation – elle n’applique pas les sanctions et laisse son espace aérien ouvert ; un gatekeeper qui contrôle les détroits, fonction qui concerne aussi les alliés de l’OTAN ; et une tierce partie qui offre au minimum ses bons offices – une prochaine phase de négociations russo-ukrainiennes est annoncée à Istanbul.

 

Cette neutralité turque, pour le moins active, reste ambivalente. Pour le camp occidental, le rôle que jouera la Turquie dans le dénouement de la crise est crucial. Sa contribution à l’OTAN est dans toutes les têtes : après avoir offert sans succès ses services pour la sécurisation de l’aéroport de Kaboul en pleine débâcle américaine, en juillet 2021, Ankara sait aujourd’hui que notre sécurité en mer Noire sera bientôt tributaire de ses choix stratégiques. Recep Tayyip Erdogan espère aujourd’hui que Vladimir Poutine sortira affaibli de cette guerre ; il ne lui tournera pas forcément le dos pour autant.

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Dorothée Schmid est spécialiste du monde méditerranéen et dirige le programme « Turquie contemporaine et Moyen-Orient » de l’Institut français des relations internationales.

 
 
> Lire la tribune dans son intégralité sur le site du Monde.
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Dorothée SCHMID

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Responsable du programme Turquie/Moyen-Orient de l'Ifri

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