Pour « une production responsable de minerais et métaux » à l’échelle internationale
Le spécialiste de l’énergie Marc-Antoine Eyl-Mazzega plaide, dans une tribune au « Monde », pour la création d’une agence internationale des minerais chargée de réguler cet enjeu stratégique mondial et d’organiser un dialogue entre producteurs et consommateurs, associant États, industriels, organisations multilatérales et non gouvernementales.
Tribune. À l’image d’Internet qui s’est déployé partout dans le monde au tournant des années 2000, un grand nombre de technologies bas carbone et numériques comme les véhicules électriques, les éoliennes marines ou la 5G, vont être déployées de manière accélérée et massive durant la décennie 2020.
Une mobilisation planétaire grandissante pour la préservation du climat, les mesures de relance post-pandémie et les progrès technologiques vont nourrir ces bouleversements. Ceci à condition que les minerais et les métaux indispensables à ces technologies – comme le cobalt, le nickel, le cuivre, le manganèse, le graphite et des terres rares – n’y forment pas un obstacle irrémédiable.
Menaces
Trois éléments participent à leur caractère stratégique et représentent autant de vulnérabilités, voire de menaces.
Tout d’abord, l’état des réserves et les limites économiques et techniques à la production qui risquent d’empêcher de répondre à l’essor de la demande. Les prix de certains produits pourraient s’envoler, comme c’est en partie déjà le cas actuellement, renchérissant les coûts des technologies et ralentissant la massification de leur déploiement indispensable à la décarbonation de l’économie mondiale.
Ensuite, les industries qui les consomment sont exposées à des risques géopolitiques liés à la localisation des réserves et des sites de production, ainsi qu’à l’organisation des chaînes de valeur. Par exemple, la République démocratique du Congo, très instable, représente 60 % de la production mondiale de cobalt. Les entreprises chinoises contrôlent une grande partie de la production de lithium et de cobalt dans le monde, ce qui représente un atout stratégique pour les groupes technologiques chinois.
Si la production de nickel est diversifiée, son raffinage, indispensable pour créer les produits incorporés aux batteries, est concentré entre les mains d’industriels chinois. Il est parfaitement envisageable que de grands groupes industriels européens soient à l’avenir contraints de céder une partie de leur capital ou de leurs technologies, pour garantir leur approvisionnement en minerais.
Enfin, ces processus miniers sont généralement très consommateurs d’énergie, d’eau et de produits chimiques, et soulèvent souvent des questions sur les conditions de travail et la bonne gouvernance des entreprises du secteur. Produire les technologies dont nous avons besoin pour décarboner sans investir dans l’amélioration des processus en amont pourrait provoquer des dommages environnementaux et humains qui annuleraient en partie les gains escomptés et affaibliraient également le consensus autour de la transition énergétique.
Sécurité climatique européenne
L’Europe, très dépendante des importations de minerais et produits raffinés, est particulièrement exposée. La sécurisation d’une production responsable de minerais et métaux requiert donc une réponse à tous les échelons. Assurer la sécurité climatique européenne est en effet indispensable à la réussite du « pacte vert » (Green Deal) européen qui vise la neutralité climatique en 2050. Puissance, souveraineté et leadership industriel sont les facteurs clés pour atteindre cet objectif, mais ils ne peuvent s’affirmer sans une prise en compte stratégique des vulnérabilités grandissantes – et des opportunités – liées aux minerais et métaux.
La Commission européenne soutient déjà la filière, mais dans une proportion dérisoire face aux investissements colossaux de la Chine qui a su établir son emprise sur de nombreux minerais et leurs chaînes de valeur. Les États-Unis, également très vulnérables, déploient une stratégie intérieure et extérieure résolue qui sera abondée en milliards de dollars par le plan de relance en cours d’adoption.
La France et ses partenaires européens doivent apporter un soutien diplomatique et financier aux industries minières européennes tout en imposant des standards environnementaux et sociaux, et en promouvant des politiques effectives de recyclage et d’innovation le long des chaînes de valeur. Si besoin, des stocks stratégiques pourraient être constitués.
Ces défis appellent aussi une réponse à l’échelle internationale. La création d’une agence internationale des minerais permettrait d’établir un état des lieux partagé sur l’évolution possible de l’offre et de la demande, et d’organiser un dialogue entre producteurs et consommateurs associant États, industriels, organisations multilatérales et non gouvernementales.
Un partage des bonnes pratiques permettrait d’étendre les stratégies de collecte et de recyclage et des standards environnementaux et sociaux vérifiables, et de promouvoir une meilleure gouvernance en associant les pays dont nous dépendons à un développement plus vertueux du secteur des minerais et métaux.
Cette agence devrait être intégrée ou associée à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et à l’Agence internationale de l’énergie, déjà basées à Paris, et renforcerait ainsi le rôle d’impulsion du multilatéralisme de la France. Les présidences française de l’Union européenne et allemande du G7 en 2022 pourraient œuvrer à la création d’un tel pilier indispensable à la gouvernance mondiale et à la sécurité climatique européenne.
> Lire la tribune sur le site du journal Le Monde
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