Pourquoi le monde reste dépendant du charbon
La consommation de cette énergie fossile est repartie à la hausse en 2017. Si elle est, de loin, celle qui contribue le plus au changement climatique, avec près de 40 % des émissions totales de C02, elle reste, en Asie, un moyen peu onéreux de produire de l’électricité.
En apparence, les bonnes nouvelles se multiplient pour le climat, du moins en ce qui concerne le charbon. Fin février, le géant minier anglo-suisse Glencore a ainsi annoncé qu’il allait limiter ses investissements dans le secteur. En Allemagne, le cinquième plus gros consommateur du monde, une commission mandatée par le gouvernement prévoit un arrêt de la production d’électricité à partir de charbon en 2038. Même aux Etats-Unis, où Donald Trump fait tout pour soutenir l’industrie de « King Coal », la production ne cesse de décliner.
Pourtant, en 2017, la consommation mondiale de charbon est repartie à la hausse, selon les données de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Tout indique que la tendance aura été la même en 2018. En réalité, sa part dans la production d'électricité au niveau mondial (38 %) ne varie pas depuis trente ans. Et ce, alors que la consommation mondiale a explosé. « C’est le chiffre le plus frappant et le plus inquiétant de notre rapport annuel sur l’énergie », souligne Spencer Dale, l’économiste en chef de la major pétrolière BP.
Outre ses conséquences négatives sur la qualité de l'air, le charbon est de loin la manière de produire de l’électricité qui émet le plus de dioxyde de carbone (C02) et contribue le plus au changement climatique, avec près de 40 % des émissions totales. Pour limiter les dérèglements à l'œuvre et espérer tenir la trajectoire de l'accord de Paris scellé fin 2015, le monde doit esquisser une perspective de sortie du charbon, et sans tarder.
« Il y a beaucoup de discours sur le sujet, mais pas beaucoup de changements », déplore Keisuke Sadamori, directeur des marchés de l’énergie à l’AIE. Les prévisions de l’agence n’ont pas de quoi rassurer celles et ceux qui souhaiteraient un déclin des énergies fossiles. « La hausse devrait continuer, autour de 0,5 % par an jusqu’en 2023. »
Pourquoi l’humanité ne parvient-elle pas à se déprendre d’une énergie fossile qui la tue à petit feu ? La raison en est très simple : en Asie, le charbon reste un moyen peu onéreux et rapidement mobilisable de produire de l’électricité. C'est notamment le cas en Chine, qui concentre 48 % de la consommation mondiale de cette énergie. « La consommation d’électricité y croît de 8,5 % par an. Le pays a des besoins pressants qui accompagnent sa croissance économique », explique Sylvie Cornot-Gandolphe, chercheuse à l’Institut français des relations internationales (IFRI).
Un quart du charbon utilisé sur la planète pour produire de l’électricité est brûlé dans l'empire du Milieu. Mais il progresse aussi fortement en Inde et dans toute l’Asie du Sud-Est, notamment au Vietnam et aux Philippines, mais aussi au Bangladesh et au Pakistan. En réalité, le monde du charbon est coupé en deux : « On assiste à un déclin continu en Eu¬ rope et aux Etats-Unis, mais à une forte hausse en Asie du Sud », analyse Keisuke Sadamori.
« DE MOINS EN MOINS COMPÉTITIF »
Sur le Vieux Continent, le sort du charbon n'est pas totalement réglé, mais la consommation globale connaît un net recul. La plupart des pays européens se sont engagés en faveur de plans de sortie de cette énergie fossile. L’Allemagne doit inscrire prochainement dans la loi sa volonté de cesser progressivement le charbon entre 2020 et 2038 au plus tard, pour un peu plus de 40 milliards d’euros.
En France, où l’on en consomme très peu, Emmanuel Macron a promis de fermer les quatre dernières centrales à charbon d’ici à 2022, même si deux d’entre elles pourraient obtenir une prolongation. En Europe, seule la Pologne, qui continue de défendre bec et ongles l’utilisation du charbon, ne prévoit pas de scénario de sortie.
En dépit du soutien de Donald Trump à l’industrie charbonnière américaine - une posture destinée à séduire les électeurs dans les Etats concernés -, le secteur connaît un déclin croissant depuis quatre ans outre-Atlantique. « C’est le marché qui est en train de venir about du charbon, note Sylvie Cornot-Gandolphe. Il est de moins en moins compétitif, parce que le gaz est devenu abondant et peu cher avec le développement des forages de schiste. »
La baisse du prix des énergies renouvelables, en Europe comme aux Etats-Unis, fait de celles-ci un concurrent de plus en plus sérieux au charbon, même si l’électricité produite par des éoliennes ou des panneaux solaires dépend du vent et du soleil, alors qu’une centrale à charbon peut être mobilisée à la demande.
SCÉNARIO DU PIRE
En Chine, la situation est paradoxale : Pékin est le premier investisseur mondial dans les énergies renouvelables, mais cela n'atténue pas l'appétit de l’économie chinoise pour l'électricité. Alors que le pays développe l’éolien et le solaire à grande vitesse, il continue de construire des centrales à charbon neuves.
« Mais cette croissance va cesser à partir de 2020 : le gouvernement chinois a mis un plafond à la part du charbon et prend des mesures sérieuses pour en faire décroître la consommation », estime Oliver Sartor, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales de Sciences Po (IDDRI), qui a coordonné une enquête internationale sur la sortie du charbon. « Dans les années 2010, la Chine ouvrait une nouvelle centrale chaque semaine. On est désormais sortis de ce rythme-là », ajoute Mme Cornot- Gandolphe. Pour les autorités, il s’agit de réduire les émissions de CO2, mais aussi la pollution causée par les centrales, qui, dans certaines grandes villes, rend l’air irrespirable.
Toutefois, si Pékin prend des engagements nationaux, le pays exporte son savoir-faire dans toute la région, où les entreprises chinoises construisent des centrales à tour de bras, avec le soutien des banques et des financeurs. A en croire un rapport de l’IEEFA (Institute for Energy Economies and Financial Analysis) Hongkong, publié fin janvier, les institutions chinoises assurent le financement d'un quart des centrales à charbon en construction dans le monde. « Soit plus de 36 milliards de dollars investis dans 32 pays », précise Melissa Brown, l’une des auteures du rapport.
« Ces centrales récentes sont l’un des plus grands défis auxquels nous devons faire face, s’alarme Fatih Birol, directeur exécutif de l’AIE. En Europe ou aux Etats-Unis, les tranches ont 40 ans en moyenne. En Asie, on trouve plus de 1400 gigawatts de centrales qui ont 11 ans de moyenne d’âge. Elles sont loin d'être à la retraite. C’est le talon d’Achille de la bataille pour le climat. » Dans ce scénario du pire, avec une croissance continue du charbon et des centrales impossibles à fermer, le monde n’a aucune chance d'honorer les engagements de l’accord de Paris, préviennent experts et ONG.
« On ne peut pas fermer les centrales du jour au lendemain, mais ce n’est pas pour cela qu’on n’assiste pas à un changement global de direction », relativise Oliver Sartor, qui se dit « raisonnablement optimiste ». « Le vrai sujet, c’est que les pays doivent avoir une stratégie pour développer autre chose que le charbon, et on voit de plus en plus que c’est le cas. » « Les discussions que les Européens ont aujourd’hui sur la sortie du charbon, l’Asie du Sud-Est les aura dans dix ou quinze ans », conclut Sylvie Cornot-Gandolphe. En attendant, l’addiction mondiale au charbon se poursuit.
NABIL WAKIM
Lire l'article sur le site du journal : Le Monde
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