Pourquoi les Etats-Unis « changent de doctrine » nucléaire et adaptent leur armement
Une version préliminaire de la nouvelle « Nuclear Posture Review » des Etats-Unis confirme l’adaptation du Pentagone au nouvel environnement mondial, selon Corentin Brustlein.
NPR. « Nuclear Posture Review » est le rapport du Pentagone qui établit la politique, la stratégie, les capacités et le dispositif de force nucléaire des États-Unis pour les cinq à dix prochaines années.
Une version préliminaire de la nouvelle mouture du NPR a fuité ce mercredi suscitant des interprétations parfois alarmistes. Le ministère de la Défense américain veut a priori réexaminer son arsenal nucléaire et développer un nouveau type d’armes à la puissance limitée. Une nouvelle « posture » en opposition avec la ligne d’Obama en 2010, lors de la publication du dernier NPR. Corentin Brustlein, responsable du centre des études de sécurité de l’Ifri, nous aide à répondre en trois points aux questions que posent ce document stratégique.
Les Etats-Unis vont-ils augmenter leur arsenal nucléaire ?
A priori non, c’est une modernisation de leur arsenal que le Pentagone appelle de ses vœux. « On ne peut pas dire que les Etats-Unis veulent augmenter leur arsenal » analyse Corentin Brustlein. Et d’ajouter : « Les nouveautés de ce texte font mention de la modernisation de l’arsenal existant. Il faut bien distinguer l’amélioration qualitative de l’augmentation quantitative qui n’est pas mentionnée. Les Etats-Unis sont limités par l’accord « New start », aussi longtemps qu’ils sont dans cet accord, ils ne feront pas d’augmentation de leur arsenal, comme les Russes. »
Le New START (« START » pour Strategic Arms Reduction Treaty, en russe : СНВ-III) est un traité de réduction des armes nucléaires entre les États-Unis et la Russie. Il a été signé le 8 avril 2010 à Prague (République tchèque) et, après sa ratification, est entré en vigueur le 5 février 2011. Il est censé durer au moins jusqu’en 2021. Selon les termes du traité, le nombre de lanceurs de missiles nucléaires stratégiques sera réduit de moitié et limité à 700, il prévoit une réduction de 30 % du nombre d’armes nucléaires stratégiques soit 1 550 têtes nucléaires.
« Les USA peuvent rester dans le même volume global. La poursuite du programme de modernisation est liée à la recherche de flexibilité dans l’arsenal. Ils veulent pouvoir répondre à une escalade régionale, par exemple en Corée du Nord, pour avoir plus d’options de représailles adaptées » explique encore le spécialiste de la dissuasion nucléaire.
Le ministère de la Défense et l’agence fédérale de sécurité nucléaire doivent développer à cet effet un missile balistique mer-sol, précise en effet l’ébauche de NPR américain. Cette arme assurera « une option de rétorsion rapide capable de pénétrer les défenses de l’ennemi », ajoute le texte. Mais pour le spécialiste, il s’agit «d’adapter des armes qui existent, on ne peut pas parler de changement radical ».
En quoi est-ce une évolution de la doctrine de dissuasion nucléaire américaine ?
C’est une évolution et non une révolution. « Les Etats-Unis ont un problème : leurs options sont liées à leur aviation - bombardiers stratégiques (B52) et aviation tactique (F16, etc) -et certains de ces systèmes ne permettent pas de répondre à tous les besoins qu’ils pourraient avoir » décrypte le spécialiste de la dissuasion nucléaire.
« Leur option la plus rapide passe actuellement par les missiles sol-sol ICBM basés aux Etats-Unis… Mais comment faire avec la Russie ? Elle ne saura pas qui ses missiles visent si jamais le Pentagone voulait viser la Corée du Nord » explique l’expert, qui évoque donc « un vrai risque d’une escalade accidentelle ». Les USA cherchent donc à diversifier leurs options plus qu’à montrer les muscles. « D’où l’idée d’un nouveau type de dissuasion basée sur leur avantage stratégique en mer grâce à leurs sous-marins qui sont quasi indétectables », enchaîne Corentin Brustlein.
En quoi est-ce une rupture avec la doctrine « Obama » ?
Lorque le monde change, les stratégies changent. « La posture choisie n’est pas la traduction en termes de programme d’armement de la rhétorique débridée de Trump dans ses tweets. Si jamais cela avait été Hillary Clinton, qui avait été élue, on aurait sans doute un texte assez proche » suggère-t-il ainsi.
L’élément fondamental qui change depuis 2010 est le retour de la Russie, de la Chine, et de la Corée du Nord dans un «jeu de grandes puissances ». Impossible aujourd’hui de « réduire la place de l’arme nucléaire » comme le voulait Obama il y a huit ans. « La Corée du Nord a maintenant des armes nucléaires aussi puissantes que celles des Etats-Unis, de niveau stratégique », constate Corentin Brustlein
« Une telle doctrine après, l’annexion de la Crimée par la Russie, l’annexion par la Chine d’îlots proche de Taïwan, les essais nucléaires et l’envoi de missiles balistiques par la Corée du Nord, était finalement attendue » rappelle l’auteur d’une étude visionnaire, en novembre dernier, intitulée « La guerre nucléaire limitée : un renouveau stratégique américain ».
Finalement, « dans un contexte de pérénnisation des postures nucléaires par les grandes puissances, les Etats-Unis claironnent qu’ils ne baissent pas la garde », conclut le chercheur de l’Ifri.
Voir l'article surle site du Parisien
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