Poutine face au coronavirus : fort au dehors, plus friable en interne
Le président médiatise l’aide apportée par la Russie aux pays en difficulté, comme l’Italie. Mais son propre pays, qui recensait officiellement le 1er avril 2.777 cas, et 24 décès, se trouve face à une situation sanitaire dégradée.
A première vue, la pandémie du coronavirus a offert un beau succès diplomatique à Vladimir Poutine : en envoyant en Italie, dès le 20 mars, quinze avions militaires étiquetés « From Russia with love » avec unités de désinfection, huit brigades médicales et 100 membres des troupes de protection nucléaire, biologique et chimique, la Russie a mis en évidence l'incapacité de l'Union européenne et de l’Otan à fournir une aide rapide à ses membres en crise. Très reconnaissant, le premier ministre italien a même à nouveau plaidé pour une levée des sanctions de l’UE contre la Russie.
Le 31 mars, le ministère russe de la Défense annonçait "le départ d'un Antonov-124 des forces aériennes russes pour les Etats-Unis, avec à son bord des masques médicaux et de l'équipement médical". Evoquée, selon le porte-parole du Kremlin, lors d'un entretien téléphonique la veille avec Donald Trump, cette action s'inscrit "dans l'esprit du partenariat et de l'assistance mutuelle sans alternative aujourd'hui, quand cette situation touche tout le monde sans exception et devient globale".
PAS DE CONFINEMENT TOTAL
Sur le plan intérieur, la situation est un peu différente. Après un long silence et le message répété que « la situation est sous contrôle », grâce à la fermeture de la frontière avec la Chine, le président russe a fini par s’adresser à ses concitoyens le 25 mars : « En prenant des mesures de précaution, nous avons largement pu empêcher l'infection de se propager rapidement et limiter le taux d'incidence. Cependant, nous devons comprendre que la Russie ne peut pas s'isoler de cette menace, simplement en considérant sa géographie. Il y a des pays le long de nos frontières qui ont déjà été gravement touchés par l'épidémie. », a-t-il déclaré, avant d’annoncer une semaine chômée, des mesures sociales et fiscales et le report sine die du référendum sur la réforme constitutionnelle qui lui permettrait de rester président jusqu’en 2036.
Contrairement à d’autres leaders, Vladimir Poutine n’a pas ordonné de confinement total, priant juste ses concitoyens de « rester à la maison ». Avant de passer le relais à Sergueï Sobianine, le maire de la capitale, forte de 16 millions d’âmes, et apparent épicentre de l’épidémie. Lequel a laissé passer quatre jours avant d’imposer le confinement total de Moscou et sa région - une décision, qui en principe, relève pourtant du gouvernement… Le 1er avril, le porte-parole du Kremlin annonçait que le chef de l'Etat s'est mis au télétravail dans sa datcha de Novo-Ogarevo par "mesure de précaution". La veille, le Dr Denis Protsenko, médecin-chef de l'hôpital moscovite de Kommounarka, où sont rassemblés les malades du Covid-19, avait annoncé être infecté, une semaine après une visite très médiatisée du président, qui lui avait serré la main et s'était entretenu avec lui...
RESTRICTIONS
Dédié à son combat pour rehausser le statut international de la Russie, Poutine aurait-il sous-estimé l’ampleur de l’épidémie dans son pays ? Sur les réseaux sociaux, les témoignages abondent sur le manque de matériel sanitaire, notamment pour protéger les soignants. « On a le sentiment d’une grande incohérence au sommet de l’Etat, compensée par certains aux étages inférieurs, conscients de la gravité de la situation. Poutine, qui a récemment fait des déclarations surprenantes sur la classe moyenne (tous ceux dont les revenus dépassent 17.000 roubles, soit 200 euros, selon lui), semble déconnecté de la réalité du pays » estime Tatiana Kastoueva-Jean, spécialiste de la Russie à l’Institut français des relations internationales (IFRI). La plupart des économistes s’accordent pour dire que les Russes n’ont guère d’épargne, et que la chute du prix du pétrole suivie par celle du rouble limite leur capacité à vivre confiné.
Quoi qu’il en soit, un sondage publié lundi 30 mars par le Centre indépendant Levada est instructif : 62 % des Russes interrogés estiment qu’une limite d'âge devrait être fixée – entre 65 et 70 ans - pour le poste de président de Russie. Seuls 26 % seraient contre ces restrictions. Par ailleurs, 50 % préfèreraient « un changement de pouvoir et l'émergence de nouveaux politiciens» contre 37 % qui privilégient«la stabilité et un cercle restreint de politiciens au pouvoir » (37%). Effectué entre le 19 et le 25 mars, date de l’allocation télévisée de Vladimir Poutine, son message laisse entendre qu'une majorité de Russes souhaiterait que le président actuel, âgé de 67 ans, laisse en 2024 sa place à un nouveau visage. Reste à savoir si sa popularité, qui était de 63 % d’opinions favorables début mars contre 70 % en octobre dernier, se ressentira, ou pas, de sa gestion du coronavirus.
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