Quel avenir pour l'économie nord-coréenne après Kim Jong-il ?
En disparaissant le 17 décembre, Kim Jong-il a pris de court tous les analystes et perturbé les plans arrêtés de longue date à Pyongyang pour 2012. Le " cher Leader " ne célèbrera pas son soixante-dixième anniversaire l'année prochaine, mais il ne présidera pas non plus les festivités prévues pour le centième anniversaire de la naissance de son père Kim Il-sung, disparu en 1994, et pour l'accession de la République Populaire Démocratique de Corée au statut de " nation forte et prospère ". La réalisation de cet objectif avait en effet été opportunément fixée à 2012 de manière à faire coïncider les trois événements. Le sort en a voulu autrement.
La RPDC, nation prospère ? Il est permis d'en douter. Même si la rareté des données et leur piètre qualité imposent la prudence, la réalité économique paraît bien éloignée de l'idéal décrit par la propagande officielle. Selon les chiffres fournis par le Ministère de la Réunification sud-coréen, la situation économique s'est même considérablement détériorée au cours des dix-sept années de la présidence de Kim Jong-il et le pays figure aujourd'hui parmi les plus pauvres du monde.
Le pays ne s'est apparemment jamais remis de la crise économique du milieu des années 1990 qui a suivi l'interruption de l'aide soviétique et a débouché sur une famine massive faisant près d'un million de morts. La production tant agricole que manufacturière n'a cessé de décliner depuis et la structure des exportations nord-coréennes, dominées par des minerais non transformés, atteste d'une situation de sous-développement industriel patent.
Pour autant la RPDC dont hérite aujourd'hui Kim Jong-un n'a plus grand-chose à voir avec celle dont avait hérité Kim Jong-il en 1994.
Du point de vue du fonctionnement de l'économie, des changements importants sont intervenus, sous l'effet précisément de la détérioration des performances économiques. Ainsi les tentatives de libéralisation, avec en particulier la mise en place de marchés libres à la fin des années 1990, ont été rapidement suivies d'une reprise en main par le pouvoir et la restauration du système de distribution public, mais en vain. Dès lors, une économie fondée sur des activités marchandes persiste en parallèle du système officiel. De la même manière, la réforme monétaire de 2009 qui avait pour objectif de décourager ces activités marchandes a été un échec retentissant.
Une véritable ouverture "à la chinoise" ?
Jusqu'à une date récente, les tentatives d'ouverture de l'économie sur l'extérieur étaient restées sans lendemain et la Corée du Nord n'avait pas suivi son grand voisin chinois sur la voie des zones économiques spéciales, les deux projets au Nord-est et au Nord-Ouest du pays (Sinuiju et Rajin-Sonbong) ayant fait long feu. Le complexe industriel de Kaesong situé à la frontière avec la Corée du Sud, fait exception en la matière, mais la présence des investisseurs étrangers y est minimale et surtout le complexe n'a pas connu l'expansion initialement envisagée, puisqu'aucun investisseur étranger n'y est présent en dehors des sud-coréens.
Au cours des toutes dernières années cependant, de nouvelles tentatives d'ouverture se sont fait jour, avec la poussée, certes discrète et limitée mais résolue, de certains investissements chinois. Avant tout concentrés dans les régions frontalières du Nord du pays, ceux-ci sont le fait, non pas de grandes entreprises d'Etat, comme c'est généralement le cas, mais plutôt d'entreprises de taille modeste qui sont soit entre les mains d'intérêts privés soit gérées par des gouvernements provinciaux. Ces investissements, bien qu'importants du point de vue nord-coréen, demeurent modestes en volume. Au cours de la période 2003-2009, ils se seraient élevés, à en croire le rapport Silent Partners : Chinese Joint Ventures in North Korea (Thompson, Drew, 2011), à moins de 100 millions de dollars, soit un niveau nettement inférieur à ce qui est enregistré dans les autres pays de la région, et notamment en Corée du Sud. Ils reflètent néanmoins, si ce n'est une stratégie délibérée d'ouverture, en tout cas une influence croissante de la Chine sur l'économie nord-coréenne qui n'est pas exempte de risques tant pour le pays lui-même que pour son voisin sud-coréen.
Compte tenu de son jeune âge et de l'érosion du rôle de l'idéologie dans le système nord-coréen depuis la mort de Kim Il-sung, Kim Jong-un ne peut espérer asseoir son autorité mais aussi la survie du régime que par le biais de l'économie. En acceptant que la Chine continue de jouer un rôle de plus en plus important dans son économie, le jeune leader résoudrait un problème tout en en créant un autre. Une issue pourrait être un rééquilibrage de l'ouverture en faveur d'autres partenaires, et notamment, mais pas exclusivement, de la Corée du Sud. Dans ces conditions, un scénario possible serait celui d'une véritable ouverture " à la chinoise ". Les considérations économiques l'emporteront-elles ?
LIRE D'AUTRES ÉTUDES DE L'IFRI SUR LE THÈME :
An Analysis of North Korea's Principal Trade Relations, Hyung-Gon JEONG, Hokyung BANG, Asie.Visions 32, Ifri, juillet 2010
Coming in from the cold : An update on North Korea's external trade relations, Françoise Nicolas, Asie.Visions 26, Ifri, avril 2010
North Korea's Nuclear Weapons Development: Implications for Future Policy, Jonathan D. Pollack, Proliferation Paper, n° 33, Ifri, printemps 2010
Françoise Nicolas, directrice du Centre Asie de l'Ifri, maître de conférences associé, Université Paris-Est, Marne-la-Vallée
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