Quelle stratégie russe au Moyen-Orient ?
« Ce nouveau voisin n'est pas venu pour louer un appartement, il est venu se construire une villa », lançait en novembre dernier Avi Dichter, actuel président du Comité des Affaires étrangères et de la Défense en Israël, et qui fut un temps à la tête du Shin Bet, en parlant de la Russie. Car les appréhensions d'Israël face à l'influence croissante de Moscou dans la région sont bel et bien réelles.
Bien que l'État hébreu entretienne des relations sinon franchement chaleureuses, du moins cordiales, avec la Russie, l'importance graduelle qu'a (re)prise cette dernière au Moyen-Orient ne peut être un fruit du hasard. De sa participation à la mise en place d'un accord historique sur le nucléaire iranien, en juillet 2015, à son intervention en Syrie en septembre de la même année, et qui a marqué un tournant décisif dans le conflit syrien, Moscou se retrouve aujourd'hui placé de manière stratégique sur l'échiquier moyen-oriental.
Le fait qu'il entretient de bonnes relations avec les principaux acteurs régionaux contribue très largement à asseoir sa position. Il a pris des risques considérables à plusieurs niveaux pour aider son allié syrien de longue date, coopère pour ce faire avec l'Iran, s'est réconcilié avec la Turquie, soutient l'Égypte. Une intervention plus ou moins directe en Libye semble également se préciser, comme le prouvent les deux visites du général Khalifa Haftar – qui contrôle plusieurs terminaux pétroliers cruciaux dans son pays – dans la capitale russe en juin et novembre 2016. Des instructeurs russes se trouvent d'ailleurs déjà sur place, à Tobrouk notamment, et assistent les forces du général Haftar dans sa guerre aux islamistes.
L'ours russe ne cache pas non plus son intérêt pour des pays comme le Maroc, avec lequel une coopération commerciale et énergétique est en développement, et le Yémen, dont l'ex-président Ali Abdallah Saleh et les rebelles houthis ont plusieurs fois eu la preuve du soutien russe à leur encontre, surtout depuis le début de l'offensive saoudienne contre les houthis, soutenus par Téhéran, en mars 2015.
Diplomaties tous azimuts
Paradoxalement, Moscou semble, en apparence du moins, également entretenir des relations correctes avec Riyad et ses alliés du Golfe. Déçu par le désintérêt américain progressif vis-à-vis du Moyen-Orient, essentiellement sous Barack Obama, le royaume wahhabite semble se rapprocher de plus en plus de Moscou, qui profite du vide laissé par Washington dans la région. « Riyad se tourne ostensiblement vers Moscou quand il perçoit que les États-Unis critiquent ou se détournent du royaume, afin d'entamer des négociations d'accords énergétiques ou d'armements. Cependant, la réalité des divergences russo-saoudiennes – dans la fixation des prix et des quotas de production du pétrole – rattrape vite les promesses mirifiques de contrats faites à la Russie. L'objectif pour Riyad est surtout d'envoyer un message à Washington, de faire en sorte que ses intérêts soient mieux pris en considération », confirme Julien Nocetti, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri) et spécialiste de la politique de la Russie au Moyen-Orient.
C'est que Moscou cherche ouvertement à consolider son rôle d'acteur international incontournable, et ne s'en cache pas. Bomber le torse en Syrie a très largement porté ses fruits et a même contribué à forcer la coopération avec Washington, du moins militairement. La place encore toute chaude laissée par les États-Unis, intervenus de manière particulièrement frileuse en Syrie, aura permis à la Russie de s'y imposer, sans pour autant qu'elle remplace totalement les USA. « La Russie prend le risque d'occuper l'espace au détriment de ses propres contraintes. En d'autres termes, il peut émerger à terme un décalage entre les ambitions de puissance de Moscou et les réalités – surtout économiques, éventuellement de politique intérieure – qui le pousseront à faire marche arrière », prédit Julien Nocetti, lequel s'interroge sur les conséquences que cela implique. Et il s'agit, avant tout, de préserver un niveau de sécurité élevé à l'intérieur de ses frontières, alors que de nombreux jihadistes partis du Caucase y sont de retour, ou vont l'être très bientôt.
Mis à part le désir de rétablir une sphère d'influence dans la région, de prouver sa puissance militaire mais aussi diplomatique, démontrée par les pourparlers sur la Syrie à Astana, au Kazakhstan, allié de la Russie, il est difficile de cerner les contours exacts d'une stratégie globale à long terme de Moscou au Moyen-Orient. Sa présence de plus en plus tentaculaire laisse de toute évidence supposer une volonté de se maintenir dans cette région.
L'agrandissement et la modernisation de la base russe de Tartous en Syrie, annoncés après un accord signé entre Damas et Moscou le 20 janvier, en sont un exemple parfait. D'une durée de 49 ans, il pourra être reconduit automatiquement par périodes de 25 ans, si l'une des parties n'exprime pas sa volonté d'y mettre fin un an avant la date limite. Mais, pour Julien Nocetti, la Russie de Vladimir Poutine « n'a pas de projet ni de "modèle" politique pour le Moyen-Orient. Elle y poursuit une politique guidée par ses seuls intérêts nationaux et n'a pas d'alliés permanents dans la région : tous les alignements de Moscou servent avant tout ses intérêts régionaux et, en toile de fond, ses objectifs internationaux ». Aussi, certains observateurs n'hésitent pas à affirmer que la Russie avance plutôt à tâtons, naviguant à vue. Il est néanmoins probable que plusieurs années seront nécessaires pour établir de manière définitive la justesse, ou la fausseté, de ces constats.
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