Russie : A quoi va ressembler le « Runet », le nouvel Internet 100% russe contrôlé par Moscou ?
« L’Internet souverain ». C’est le nom officiel du nouvel Internet 100 % russe. Vendredi 1er novembre, la loi pour la mise en place de ce système fermé – et très controversé – est entrée en vigueur en Russie. De quoi inquiéter les défenseurs des libertés numériques. Serveurs, contrôles, cyberattaque… On vous explique à quoi ressemble l’Internet de demain pour les Russes.
« L’idée, c’est de créer une séparation avec l’Internet mondial », résume Julien Nocetti, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri), spécialiste de l’Internet russe. Concrètement, si la Russie se sent cyberattaquée, déstabilisée ou ne parvient plus à se connecter aux serveurs internationaux, elle pourra choisir de basculer sur un Internet national, en vase clos. « En Russie, il y a une petite paranoïa sur un éventuel black-out venu de Chine ou des Etats-Unis », glisse le chercheur.
Ce projet est dans les cartons russes depuis quelques années déjà : en 2015, des tests étaient réalisés pour isoler le « Runet », l’Internet russe. Ils sont d’ailleurs toujours en cours, sans que l’on puisse connaître précisément leurs résultats.
Le Roskomnadzor, à la pointe de la surveillance
Comment ça marche ? Ce nouvel Internet repose sur deux volets principaux : le premier, c’est la reprise en main de l’attribution des noms de domaines russes. Un nom de domaine, c’est tout simplement le nom de votre site (ex : 20minutes) suivi d’une extension (.fr). Ces attributions de noms sont gérées par l’Internet Corportation for Assigned Names and Numbers (ICANN), qui coordonne des agences dans le monde entier. Problème : l’institut est basé à Los Angeles. Trop américain pour la Russie, qui voudrait récupérer cette prérogative. Désormais, tous les sites en .ru et .su (pour Union soviétique, il en reste quelques-uns) sont donc amenés à être gérés en Russie.
L’autre volet, c’est la surveillance. Le gouvernement veut confier cette tâche à un organe unique : Roskomnadzor.
« Il joue le rôle de l’Arcep et du CSA français, mais puissance 10.000. C’est le renforcement de toute la dimension surveillance, limitation ou blocage des flux via un poste de commandement gouvernemental », compare Julien Nocetti.
Câbles sous-marins et FAI
Ainsi, avec cette nouvelle loi, « on passe d’une logique de contrôle des contenus à un contrôle des infrastructures et de toute l’architecture physique du Runet », analyse le spécialiste. Tous les acteurs et équipements qui ont un rapport avec Internet doivent donner des garanties à la Russie : des câbles sous-marins aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI, comme en France Orange, Free ou Bouygues) en passant par les particuliers et les entreprises privées.
Un Internet par et pour la Russie, qui a déjà fait fuir des géants du numérique par le passé, comme LinkedIn, qui a refusé la localisation de ses données sur des serveurs russes. L’entreprise américaine a quitté le pays en 2017. Une situation qui pourrait se reproduire face aux nouvelles exigences de cette loi.
« Il est toujours possible qu’un géant du numérique occidental se retire. Ça enlève un choix aux internautes russes, qui auront moins d’outils numériques à leur disposition, si jamais la censure s’exerce », prévient Julien Nocetti.
« Où sera la barrière ? »
Ce projet inquiète aussi les défenseurs des libertés numériques. En février, au moment du vote de la loi, des milliers de manifestants ont défilé pour défendre leurs libertés sur Internet. Ces rassemblements ont mobilisé « plus de monde que ceux sur les retraites », rappelle Julien Nocetti. « Dans ce cas où l’autorité gouvernementale supervise, où sera la barrière ? On peut craindre la censure, une atteinte à la liberté », s’inquiète Garance Mathias, avocate et spécialiste de la sécurité informatique. « Le gouvernement peut maintenant directement censurer du contenu ou même transformer l’internet russe en système clos sans informer le public sur ce qu’il fait ou pourquoi », a dénoncé dans un communiqué l’ONG Human Rights Watch.
Face aux critiques, le Kremlin a réfuté toute volonté d’ériger l’équivalent russe de la « Grande muraille informatique » chinoise et met en avant au contraire une volonté de défendre l’internet russe.
Le chercheur Julien Nocetti nuance également la comparaison : « En Chine, tous les acteurs occidentaux ont été remplacés par des acteurs nationaux. Le pays a financé Baidu (Google chinois) et Tencent. En Russie c’est différent : les plateformes numériques sont créées par des individus privés, sans financement public. Il existe des boîtes nées dans des garages, à la Microsoft », comme Yandex (le Google russe) ou Vkontakte (VK, le Facebook russe). « On sous-estime ce côté libre qui est présent dès le départ et qui fait aussi la fierté des Russes. »
Une liberté conciliable avec les ambitions de la Russie ?
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