Trump et Poutine : l'autonomie européenne en jeu
Pour Thomas Gomart, directeur de l'Ifri, les Européens n'aident pas assez l'Ukraine. Au risque de réduire leur autonomie stratégique
Quel choc a représenté pour l’Europe la guerre menée par la Russie en Ukraine ?
La gravité de la guerre d’Ukraine est encore sous-estimée dans certains pays européens, en particulier en Europe occidentale.
Cette guerre qui a commencé en 2014 est devenue depuis 2022 une guerre d’attrition. Elle marque la rupture entre l’Union européenne et la Russie, alors que c’était une relation très structurante de part et d’autre ; et puis, plus important encore, le fait que l’Europe au sens large, avec la Russie incluse, perd avec cette guerre son principal avantage comparatif à l’échelle globale : sa stabilité stratégique.
Quelles conséquences ?
C’est le retour non pas de la guerre, car on a un peu vite oublié la guerre des Balkans, mais le retour de la guerre de très haute intensité, alors que les scénarios de conflit avaient totalement écarté cette hypothèse.
Cela prend à contre-pied les Européens, qui, à mon sens, ne se préparent pas suffisamment et manquent de détermination en matière d’économie de guerre, ou apportent un soutien insuffisant à l’Ukraine.
Depuis l’annexion de la Crimée en 2014, les observateurs polonais, lituaniens, estoniens alertaient sur la pente prise par le régime russe. Ils n’étaient pas vraiment entendus. Peut-on parler d’une cécité de notre part ?
Il faut aussi ne pas oublier un autre élément, la guerre d’Irak. Paris et Berlin ont eu raison, avec Moscou, contre ces pays en 2003, au moment où ils rejoignaient l’UE et l’Otan. Sauf, que ces pays ont eu raison à partir de 2012, avec le retour de Poutine au Kremlin.
C’est-à-dire ?
Ils ont compris la tournure prise par le régime de Poutine, ils expliquent très vite qu’il y a une illusion à penser que le dialogue de Minsk permettra d’aboutir à une solution définitive. Minsk permet de stopper l’escalade, pas de stopper l’ambition néo impériale de la Russie. Donc, effectivement, dès 2012, ces pays sont particulièrement préoccupés.
Nous aurions dû l’être ?
En termes d’analyse stratégique, ce sont eux qui ont eu raison. Même si dans l’élaboration de la revue stratégique, nous étions absolument lucides sur la trajectoire de la Russie.
On a le sentiment que les Européens attendent plus qu’ils n’agissent…
La question de la volonté politique des Européens de continuer à soutenir l’Ukraine, en dépit d’un ralentissement du soutien américain, est la question fondamentale, par rapport à toutes les ambitions d’autonomie stratégique européenne. Si les Européens laissent l’Ukraine à son sort et s’alignent complètement sur les États-Unis, ils scellent le sort de leur autonomie. En outre, ils feraient un pari, à mon sens très imprudent, compte tenu des circonstances actuelles, sur les intentions profondes de la Russie de Poutine, qui se trouverait récompensée de sa prise de gage, de sa violation caractérisée du droit international.
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