Trump ou Harris ? « La méthode et le style sont différents, mais les deux sont également durs avec la Chine »
Les mesures d’entrave à la Chine sont l’un des rares sujets qui peuvent susciter une forme d’entente entre républicains et démocrates à Washington. Mais lequel des deux candidats apparait, aux yeux de Pékin, comme le moins mauvais interlocuteur à la Maison-Blanche ?
Pour « Charlie », Marc Julienne, directeur du centre Asie de l’IFRI, revient sur les (légers) avantages des deux candidats pour le régime chinois.
Charlie Hebdo : Du point de vue de Pékin, quel est le candidat à l’élection américaine qui apparait comme le moins pire des deux ?
Marc Julienne : Difficile à dire car les Chinois, autant les officiels que les analystes, ne se prononcent pas sur cette question. Je vais donc seulement pouvoir vous donner mon analyse par rapport aux discussions avec mes interlocuteurs et, du point de vue de Pékin, aucun des deux candidats ne présente un avantage significatif sur l’autre.
Charlie Hebdo : Les mesures d’entrave à la Chine sont l’un des rares sujets qui peuvent susciter une forme d’entente à Washington. Peut-être pouvez-vous commencer par les points positifs, pour Pékin, si Donald Trump retournait à la Maison-Blanche…
Marc Julienne : L’avantage principal de voir Donald Trump retourner à la Maison Blanche, est qu’il bouleverse les réseaux d’alliances occidentaux et les institutions internationales. Quand il était au pouvoir, Donald Trump était bien sûr dur avec ses adversaires, mais parfois encore plus dur avec ses propres alliés, ses partenaires. On se souvient de la pression forte qu’il a imposé aux membres de l’OTAN pour qu’ils augmentent leur budget de défense à 3% de leur PIB. Il a d’ailleurs fait la même chose du coté asiatique sur la Corée du Sud et le Japon.
Il y a également les liens entre Donald Trump et Elon Musk. Si globalement, le premier est très anti-Chine, Musk a des relations très étroites avec le gouvernement de Pékin. Il possède une usine Tesla proche de Shangaï et c’est un marché très important pour lui. S’il arrive à obtenir l’oreille d’un Donald Trump à la Maison-Blanche, peut-être qu’il pourrait faire infléchir certaines politiques. On sait que l’ancien président américain n’a pas de ligne claire et à tendance à écouter le dernier qui a parlé pourvu qu’il trouve les bons mots.
Charlie Hebdo : Bien sûr, il y a aussi de gros points négatifs, pour la Chine, si Trump redevient président des Etats-Unis…
Marc Julienne : Oui, comme je le disais, il reste complètement anti-Chine. Lors de sa dernière campagne c’était « China, China, China », les grands coupables de tous les maux des Etats-Unis avec les Mexicains. Cette année, la Chine est un peu moins en première ligne du débat public américain. Néanmoins, Donald Trump parle plus de la Chine que Kamala Harris. Non pas que Harris ne s’en préoccupe pas mais c’est un argument plus important pour lui. C’est une menace sur le plan sécuritaire, économique et industriel.
Un autre élément négatif aux yeux de Pékin est son imprévisibilité. La Chine préfère toujours avoir un interlocuteur sérieux avec qui l’on peut discuter, avoir un dialogue stable. Avec Donald Trump, un jour vous êtes son meilleur ami, le lendemain, vous êtes son pire ennemi. C’est notamment ce qu’il a fait avec Kim Jong Un, le dirigeant nord-coréen. Donald Trump a également de très bonnes relations avec la Russie, voire des compromissions avec le régime de Poutine. Et je ne pense pas qu’un éventuel rapprochement entre les Etats-Unis et la Russie soit vu d’un très bon œil par Pékin.
Charlie Hebdo : Dans une interview au magazine Bloomberg Businessweek publiée le 16 juillet et qui a suscité la stupeur à Taipei, Donald Trump accusait les Taïwanais d’avoir pillé l’industrie des micro-puces américaine et les invitait à payer pour leur défense, comparant la protection de l’US Army à une compagnie d’assurances qui ne vaut que si l’on a payé sa cotisation. Cette prise de position ne jouent-elle pas en faveur de Pékin ?
Marc Jelienne : Certes, mais quand il était au pouvoir, il n’a pas mis de pression sur Taiwan. Sur ses déclarations récentes, il est difficile d’en tirer des conclusions sur ce qu’il ferait au pouvoir. Cela démontre surtout à quel point il ne comprend rien à cette question. Les Etats-Unis ne sont plus une grande puissance dans la production des semi-conducteurs de haute performance depuis bien longtemps. Taiwan est leader depuis de nombreuses années et, contrairement à ce que dit Donald Trump, ce sont eux qui viennent construire des usines aux Etats-Unis, en Arizona pour être précis, et qui forment des ouvriers et des ingénieurs américains pour en produire. Ils créent des emplois aux Etats-Unis contrairement à ce que dit Trump.
En réalité, les officiels taiwanais, avec qui j’échange régulièrement, me disent que l’administration Trump a été celle qui a le plus soutenu Taiwan. Il ne faut pas oublier que Trump, c’est aussi un système, une administration. Et au sein de cette administration, certains comprennent que Taiwan est une pièce maitresse de leur dispositif de sécurité face à la Chine.
Charlie Hebdo : A contrario, quelles bénéfices pour la Chine si les Démocrates restaient au pouvoir ?
Marc Julienne : Politiquement, avec les Démocrates, il y a une certaine stabilité. Il ne faut pas oublier que c’est Donald Trump qui a lancé la guerre commerciale contre la Chine. C’est lui qui a imposé des tarifs douaniers, de manière assez grossière, sur toutes sortes de produits, sur des secteurs entiers. Même si l’administration Biden n’a pas démenti l’approche, elle a changé de style et de méthode avec les Chinois. Les démocrates ont mis des sanctions économiques beaucoup plus ciblées et subtiles en se concentrant sur des secteurs, des technologies ou même des composants précis. Notamment lié à l’IA, au quantique ou aux biotechnologies pour taper sur le talon d’Achille de la Chine, sur les technologies d’avenir pour entraver, aujourd’hui et demain, sa progression. La méthode et le style diffèrent, mais les deux partis sont également durs avec la Chine.
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