Turquie : le drone, nouvel outil d’influence d’Ankara
Après son utilisation dans le Haut Karabakh et en Ukraine, le TB2 Bayraktar est devenu le produit phare de l’industrie de défense turque. Une étude de l’Ifri révélée en exclusivité par La Croix explique comment la Turquie utilise le drone au service d’une stratégie d’influence en Afrique, en Asie centrale, au Moyen-Orient et en Europe.
C’était il y a une semaine dans le port d’Istanbul. En pleine campagne électorale pour sa réélection, le président turc Recep Tayyip Erdogan lançait, lundi 10 avril, en grande pompe, le TCG Anadolu, un bâtiment de la marine turque long de 231 mètres et large de 32 mètres, spécialement conçu pour faire décoller et atterrir les drones de combat turcs. « Ce navire renforcera notre position de leader dans la région et aux quatre coins du monde si nécessaire », a affirmé le chef de l’État. Une nouvelle illustration de sa diplomatie du drone, censée conduire vers l’avènement d’un « siècle de la Turquie ».
Dans une étude très fouillée, révélée en exclusivité par La Croix, Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (Ifri), explique comment le drone TB2 Bayraktar, devenu célèbre après son utilisation dans les conflits en Libye, dans le Haut-Karabagh et en Ukraine, s’inscrit dans une double stratégie industrielle et diplomatique de la Turquie.
50 ans d’autonomisation industrielle
Contrairement aux industries de défense des pays occidentaux, la base industrielle et technologique de défense (BITD) turque a su développer simultanément avions et drones. Produit par l’entreprise Baykar Makina, sous la houlette de Selçuk Bayraktar, le très charismatique gendre du président Erdogan, le TB2 a déjà une version renforcée et aéronavale, le TB3. Avec le Kizilelma, premier drone de combat à réaction aux formes furtives développé par la Turquie, ces deux fleurons de l’écosystème turc équiperont le TCG Anadolu, à côté de l’avion de combat léger Hürjet.
Autre projet stratégique, le futur avion de combat TF-X passe ses premiers tests. « Les succès de l’industrie de défense turque résultent d’une politique d’autonomisation des approvisionnements militaires engagée depuis cinquante ans à la suite de l’embargo sur les armes imposé à la Turquie par les États-Unis pendant trois ans, après l’occupation du nord de Chypre en 1974, souligne Léo Péria-Peigné. Les performances du TB2 sont moyennes mais il offre un bon rapport qualité-prix. »
Profiter du désengagement russe
Véritable porte-drapeau diplomatique d’Ankara, le drone Bayraktar devient un outil d’influence en Afrique et en Asie centrale. Après le Maroc, l’Éthiopie et le Niger, le Togo s’en est doté pour surveiller ses frontières. En Asie centrale, la Turquie profite du désengagement de la Russie. L’Azerbaïdjan, le Kirghizstan, le Turkménistan et le Kazakhstan ont acheté des drones turcs.
« La stratégie d’exportation militaire turque bénéficie d’une image de "troisième voie", ajoute le chercheur. Elle est moins contraignante politiquement que les systèmes occidentaux. Acheter turc est aussi plus neutre qu’acheter russe, chinois ou iranien, tout en garantissant un niveau de qualité satisfaisant. ».
Au Moyen-Orient et en Europe, le drone sert de facilitateur pour réparer des relations ou les fluidifier. L’achat de 120 TB2 par les Émirats arabes unis en septembre 2022 a scellé la réconciliation entre Ankara et Abu Dhabi. En 2021, la Turquie a repris pied en Europe en vendant 24 TB2 à la Pologne. La Finlande, un temps bloquée dans son entrée dans l’Otan par la Turquie, a laissé entendre qu’elle pourrait, elle aussi, lui acheter des drones.
Ankara fournit aussi des drones à l’Ukraine tout en refusant d’appliquer des sanctions contre Moscou et continuant à importer des hydrocarbures de la Russie et à y exporter quantité de produits. Un équilibrisme qui lui permet de jouer les intermédiaires entre les deux belligérants.
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