Ukraine : cinq questions pour comprendre la crainte d'une escalade avec la Russie
Les pays occidentaux craignent une nouvelle escalade du conflit dans l'est de l'Ukraine, après avoir constaté des mouvements militaires inhabituels de la Russie. Depuis 2014, la crise entre les deux voisins connaît des moments chauds, mais les opinions divergent quant aux intentions de Moscou.
Depuis plusieurs semaines, les membres de l'Otan, l'Union européenne, mais aussi l'Ukraine, s'inquiètent d'une éventuelle offensive de la Russie en Ukraine, en raison d'un afflux de troupes russes à la frontière, ravivant les souvenirs de l'invasion de la Crimée en 2014. Sur fond de bras de fer entre la Russie et l'UE au sujet de la crise des migrants en Biélorussie , cette nouvelle démonstration de force de la Russie fait craindre une énième escalade des tensions.
Quelle est l'origine des tensions entre la Russie et l'Ukraine ? Que reproche-t-on à la Russie et comment a-t-elle justifié ces mouvements de troupes ? Voici quelques éclaircissements.
1. Quelle est la situation actuelle en Ukraine ?
L'est de l'Ukraine, à la frontière avec la Russie, est en proie depuis 2014 à une guerre civile entre les séparatistes pro-russes établis à l'Est de l'Ukraine et le pouvoir central de Kiev. Ce conflit a déjà fait plus de 13.000 morts malgré les accords de paix de Minsk, conclus en 2014 en 2015.
Ces accords « ont fixé l'essentiel de la ligne de contact entre le territoire ukrainien et les Républiques séparatistes de Donetsk et de Louhansk. L'Ukraine a perdu le contrôle de sa frontière avec la Russie. Depuis, des altercations armées ont continué à la ligne de contact entre l'armée ukrainienne et les Républiques séparatistes soutenues par la Russie, qui l'ont encore quelque peu fait évoluer », analyse Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du Centre Russie/NEI de l'l'Institut français des relations internationales (Ifri).
La Russie est accusée de jouer un rôle dans ce conflit en armant et finançant les séparatistes pro-russes de l'est de l'Ukraine. La Russie et l'Ukraine, ancienne République soviétique, sont également à couteaux tirés depuis 2014, lors de l'invasion par la Russie de la péninsule de Crimée.
2. Que reproche-t-on à la Russie ?
Début novembre, les Etats-Unis, suivis ensuite par l'Otan et l'Union européenne, ont exprimé des inquiétudes quant à une « activité militaire inhabituelle » de la part de la Russie aux abords de l'Ukraine, qui pourrait préfigurer une possible invasion du pays, ce qu'a nié Moscou. Le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, a évoqué la présence de blindés, de drones et de « dizaines de milliers de soldats prêts au combat ».
Pour Tatiana Kastouéva-Jean, les Ukrainiens ne se sont inquiétés que tardivement de ces manoeuvres militaires : « c'est seulement après être allé aux Etats-Unis que le ministre des Affaires étrangères ukrainien est revenu beaucoup plus alarmiste », juge la chercheuse. Jusqu'à ce que, fin novembre, le président ukrainien Volodymyr Zelensky évoque des « signaux très dangereux » de la part de Moscou à la frontière.
Le chef du service de renseignement militaire ukrainien, Kyrylo Boudanov, a quant à lui assuré que la Russie avait massé près de 92.000 soldats aux frontières de l'Ukraine et anticipé une offensive fin janvier ou début février.
Pour autant, les manoeuvres russes à la frontière ne sont pas exceptionnelles. L'Occident s'était même déjà alarmé d'une possible invasion de l'Ukraine par la Russie en avril dernier. « Ce qu'il y a de plus inquiétant par rapport à d'habitude, c'est l'échelle de la mobilisation militaire russe. Mais on reste un peu sur notre faim sur les données exactes et les interprétations continuent à diverger », analyse la chercheuse de l'Ifri.
3. La Russie risque-t-elle vraiment d'envahir son voisin ?
« Les lectures de ce qu'il se passe actuellement à la frontière russo-ukrainienne peuvent être très différentes : elles varient entre la démonstration de force russe pour faire pression à la fois sur le président Zelenski et ses partenaires occidentaux, jusqu'à la crainte d'une vraie invasion russe de l'Ukraine », résume Tatiana Kastouéva-Jean. Pour la chercheuse, une invasion de l'Ukraine ferait peser des risques « énormes » sur la Russie, qui contrôle déjà les zones séparatistes pro-russes : des sanctions occidentales, mais aussi l'arrêt du projet de gazoduc Nord Stream 2.
Mais cette démonstration peut être un moyen de « faire monter la pression sur l'Occident et sur Kiev », alors même que Moscou ne souhaite pas l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan , dont elle n'est pour l'instant que partenaire.
« Vladimir Poutine voudrait que le paradigme des relations avec les Occidentaux change. Il voudrait que les sanctions soient levées et que les Occidentaux tiennent mieux compte des intérêts russes. »
4. Comment l'Ukraine et l'Alliance Atlantique ont-ils réagi ?
L'Otan et les Etats-Unis ne cessent de renouveler leur inquiétude à l'égard des projets de la Russie en Ukraine et tentent d'avertir Moscou sur les conséquences qu'aurait l'invasion de l'Ukraine. Le secrétaire général de l'Otan a assuré que les Alliés avaient « plusieurs options » en cas d'incursion russe - des sanctions économiques ou politiques, notamment.
Le président ukrainien a quant à lui estimé que la Russie cherchait un prétexte pour intervenir militairement dans son pays, Moscou ayant critiqué la présence de l'Otan en Ukraine et accusé Kiev de saper le processus de paix avec les séparatistes. Il a par ailleurs souligné que son pays était préparé à une éventuelle escalade militaire avec la Russie. L'armée ukrainienne, soutenue par plusieurs pays occidentaux dont les Etats-Unis, paraît aujourd'hui plus robuste qu'en 2014.
5. Comment la Russie a-t-elle justifié le mouvement de ses troupes ?
Kiev et Moscou s'accusent mutuellement de provocations à la frontière russo-ukrainienne. La Russie dément en effet tout projet d'invasion de l'Ukraine et accuse en retour Kiev et les Occidentaux d'aggraver les tensions. Pour Vladimir Poutine, qui a lancé un avertissement à ceux qui franchiraient ses « lignes rouges », l'Otan menace sa sécurité en menant des exercices à la frontière ukrainienne.
Interrogé sur les mouvements militaires russes à la frontière, Vladimir Poutine a indiqué qu'il « ne s'agit pas d'intervenir ou non, de mener ou non des combats. Il s'agit de raccommoder les liens » avec Kiev. Par ailleurs, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a dénoncé la « menace directe » que représente l'Ukraine, soutenue par les Occidentaux. « Nous ne pouvons pas exclure que le régime de Kiev puisse se lancer dans une aventure militaire », a-t-il jugé. « Si l'Occident n'est pas capable de dissuader l'Ukraine, mais s'il essaye au contraire de l'encourager, alors nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour assurer notre sécurité. »
> Lire l'article sur le site des Echos
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