Vladimir Poutine, tout en contrôle
Maintenir les anciens États de l’URSS dans l’orbite de la Russie est une des principales priorités du président réélu, selon Tatiana Kastouéva-Jean.
Le 31 décembre 1999, Boris Eltsine, le visage bouffi par l’alcool, désigne à la Russie et au monde son successeur, un blondinet aux lèvres pincées du nom de Vladimir Poutine. Qui est ce monsieur Poutine, un quasi inconnu nommé quelques mois plus tôt premier ministre du Kremlin ? À Moscou, Paris ou Washington, dans les agences de presse et les chancelleries occidentales, chacun interroge ses contacts en quête d’informations.
Dix-sept ans ont passé et tout ou presque a été écrit sur l’ancien colonel du KGB, qui a négocié avec Bill Clinton, George W. Bush, Barack Obama et Donald Trump, sorti son pays du chaos, maté les oligarques, limité les libertés, étouffé l’opposition, redonné à l’Église orthodoxe sa puissance, redressé son armée, conduit quatre guerres (Tchétchénie, Géorgie, Ukraine, Syrie), annexé la Crimée, interféré dans les élections américaines et bousculé l’ordre mondial.
Vladimir Poutine a construit lui-même sa biographie
Vladimir Poutine demeure pourtant une énigme à l’aube de son quatrième mandat. « Je le connais depuis plus de 20 ans. Il a beaucoup changé, jure l’ex-député social-démocrate Vladimir Rijkov. À Saint-Pétersbourg, c’était un homme très sympathique, simple, ouvert, libéral. Il s’est fermé à l’épreuve du pouvoir. » À 65 ans, le dirigeant cultive le secret sur sa vie privée au point de faire disparaître les organes d’information russes qui s’aventurent à parler de sa famille. Le public russe sait seulement qu’il a deux filles, dont l’une est mariée à un Néerlandais, et qu’il est séparé de son épouse Lioudmila, une ex-hôtesse de l’air d’Aeroflot. « Il est heureux d’être devenu grand-père, et il prend le temps de jouer avec son petit-fils », ajoute Alexeï Moukhine, un politologue qui a ses entrées au Kremlin.
À l’instar des tsars du passé, l’homme au regard métallique a construit lui-même sa biographie à son arrivée au Kremlin, en offrant plusieurs heures d’interviews à trois journalistes triés sur le volet. Son portrait brossé à grands traits se résume à une enfance dissipée à Saint-Pétersbourg ; la découverte du judo ; des études de droit ; une mission d’agent recruteur du KGB à Dresde sous le pseudonyme de Platov ; une ascension éclair auprès du maire de Saint-Pétersbourg ; une nomination à la tête du FSB (ex-KGB), puis un parachutage surprise au poste de premier ministre.
On lui connaît par ailleurs une passion pour le piano et le sport qu’il pratique tous les matins pendant de longues heures avant d’entamer sa journée de travail, laquelle se termine généralement assez tard dans la soirée. « Il prend grand soin de sa santé, jusqu’à l’obsession », commente un diplomate européen qui l’a vu débarquer un jour à l’improviste dans un hôtel de Sotchi afin de s’entretenir avec un chef d’État étranger. « Il avait refusé de toucher à la boisson du bar, se souvient-il. Un de ses gardes du corps se promenait avec une mallette spéciale contenant différents breuvages. Il lui avait servi un thé. » La peur de l’empoisonnement, déjà.
Un « spécialiste des relations humaines »
Sous le ton de la confidence, Vladimir Poutine se définit parfois comme un « spécialiste des relations humaines », sous-entendu un espion passé maître dans l’art d’entrer en contact avec ses interlocuteurs. « C’est un grand séducteur. Il regarde les gens et il sait écouter », confirme l’ancien ambassadeur français à Moscou, Claude Blanchemaison qui raconte l’anecdote suivante (1) : « J’ai lu dans votre biographie que vous aviez fait votre service dans la cavalerie, dit Vladimir Poutine à Jacques Chirac lors de leur première rencontre. Moi-même je suis un cavalier, nous avons ce point en commun. » Le président français répond, amusé, qu’en fait de cavalerie, il s’agissait de chars d’assaut. Le jeune dirigeant n’insista pas et révisa mieux ses fiches à l’avenir. « Il a réussi, en peu de temps, à se rapprocher des principaux chefs d’État occidentaux et il a beaucoup appris à leur contact », estime Claude Blanchemaison.
Les experts en relations internationales ont glosé sur les déceptions du président Vladimir Poutine vis-à-vis des Occidentaux dont les fausses promesses l’auraient conduit à prendre ses distances dès son second mandat, puis à passer à l’offensive pour défendre ce qu’il considère comme le pré carré de la Russie, en Géorgie d’abord, en Ukraine ensuite. « Tous les éléments de sa politique actuelle étaient en germe chez lui, pense Claude Blanchemaison. N’oublions pas que Vladimir Poutine est un dur, formé à l’école du KGB, qui jure avant tout par les rapports de force. Tacticien plus que stratège, il est capable d’actions transgressives, comme l’Ukraine par exemple. »
Garantir l’unité du pays
Qualifié de modernisateur pragmatique aux méthodes musclées durant ses deux premiers mandats, puis d’autocrate durant le troisième, le dirigeant russe conserve, à défaut d’idéologie, des principes sur lesquels il ne transige pas. À l’étranger, « maintenir « l’étranger proche », autrement dit les anciens États de l’URSS, dans l’orbite de la Russie est une de ses principales priorités », rappelle Tatiana Kastoueva-Jean, spécialiste du monde russe à l’Institut français des relations internationales (Ifri) et auteure de « La Russie de Poutine en 100 questions » (Tallandier, 2018).
En politique intérieure, il s’agit de garantir l’unité du pays en supprimant la politique de décentralisation entamée par son prédécesseur. En matière d’économie, les entreprises publiques qui ont prospéré depuis 18 ans au point de représenter 70 % du produit intérieur brut sont, selon lui, un gage de développement.
Propagande, répression sélective des opposants et élections faussement démocratiques
Autre constante, Vladimir Poutine ne change pas ou peu ses plus proches collaborateurs. « Dans son premier cercle dominent les Silovikis (les faucons) issus de l’armée et du renseignement, précise Vladimir Rijkov. Il a perdu le contact avec les gens normaux et l’information non officielle. Sa lecture du monde est influencée par les rapports des services secrets. Toutes ses réunions sont organisées au millimètre. C’est un mode de fonctionnement qui isole et qui augmente les risques de manipulation. »
La plupart des patrons de grandes entreprises françaises qui l’ont croisé témoignent cependant de sa connaissance approfondie des dossiers. « C’est possible d’être en désaccord avec lui et de lui dire, témoigne le directeur du centre d’information politique, Alexeï Moukhine. Mais, quand il commence à s’ennuyer dans la conversation, il y met fin. »
Au fil des ans, l’enfant de Saint-Pétersbourg a concentré de plus en plus de pouvoir entre ses mains, en usant notamment de la propagande, de la répression sélective des opposants et d’élections faussement démocratiques. « Poutine répond aux aspirations de la majorité de la population qui réclame un leader fort », reconnaît le politologue Dmitri Oreshkin.
Un de ses anciens bras droits qui l’a accompagné lors de ses premières années au Kremlin confie, dans un sourire plein d’ironie : « Poutine est passé en 18 ans du judo au hockey. Il a perdu ses cheveux. Il a divorcé. Mais sa mentalité politique reste la même. La Russie change. Notre président ne change pas au même rythme que le pays. Il existe un décalage qui n’a pas encore atteint un niveau critique… Poutine, c’est notre Tovaritch (camarade). »
Relire l'article sur le site de La Croix
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