Vote en Russie : les élections de 2011-2012, l’épouvantail du pouvoir russe
La contestation qui suivit les élections législatives de décembre 2011, entachées par la révélation de fraudes massives, reste une question sensible pour le Kremlin.
Dimanche 18 mars, 110 844 277 électeurs russes sont invités à élire le président de la Fédération de Russie. Si la victoire de Vladimir Poutine fait peu de doute, le déroulement du scrutin reste une question sensible pour le Kremlin. Un précédent, qui fait office de repoussoir, hante encore les esprits : la contestation qui suivit les élections législatives de décembre 2011. La révélation de fraudes massives avait alors poussé des dizaines de milliers de personnes à descendre dans la rue, et avait obligé le pouvoir à affronter sa crise politique la plus sérieuse et la plus longue de l’ère Poutine. Cette année, le Kremlin a tout fait pour se prémunir contre la répétition de scénario.
Les fraudes
Le 4 décembre 2011, le parti de Vladimir Poutine, Russie unie, récolte 49,32 % des suffrages. Une victoire modeste, derrière laquelle se cachent de fortes disparités : au Daghestan, dans le Caucase, le parti du pouvoir obtient 91,44 % des voix ; en Mordovie (Russie centrale), 91,62 % ; et en Tchétchénie, record absolu, 99,48 %. Rapidement, il apparaît que les fraudes ne concernent pas seulement ces territoires excentrés où les autorités locales cherchent à briller aux yeux de Moscou.
Le lendemain du vote, les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) dénoncent des fraudes électorales « fréquentes », confirmant les conclusions de l’ONG russe Golos, spécialisée dans l’observation électorale. Surtout, des dizaines de vidéos illustrant ces fraudes, filmées avec leur téléphone par de simples citoyens, apparaissent sur Internet. Cela va du simple bourrage d’urne à des méthodes plus inventives. Au choix : l’encre effaçable, qui permet de changer le vote sur un bulletin, ou encore la méthode dite « du carrousel ». Le subterfuge consiste à payer des électeurs afin de les faire voter dans différents bureaux. Un manège bien rôdé qui permet, par exemple, à la Tchétchénie d’atteindre un taux de participation de 99 %.
Si ce n’est pas la première fois que des soupçons d’irrégularité pèsent sur une élection en Russie, sa visibilité est sans précédent, démultipliée par le pouvoir des réseaux sociaux, que les autorités ont sous-estimé. « Une fraude si grossière et d’une telle ampleur était unique, se souvient Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du centre Russie-Nouveaux Etats indépendants de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Le pouvoir s’en cachait à peine. »
Des manifestations sans précédent
L’indignation monte progressivement. Dans les jours suivant le vote, de petits rassemblements ont lieu dans plusieurs villes de Russie. Une semaine après la proclamation des résultats, la place Bolotnaïa, au pied du Kremlin, est noire de monde. Estimée à vingt-cinq mille personnes par la police, et entre cinquante mille et quatre-vingt mille par l’opposition, la foule scande : « Députés, nous n’avons pas voté pour vous ! » Le rassemblement est inédit par sa taille et par sa nature, fédérant bien au-delà des cercles traditionnels de l’opposition.
« Pour la première fois, la classe moyenne descendait dans les rues pour demander un renouvellement de la classe politique jusqu’à la démission de Vladimir Poutine », explique la chercheuse. Le choc est d’autant plus important pour le pouvoir que cette classe moyenne qui s’est constituée durant les années de prospérité du régime Poutine, à la faveur de l’envolée du prix des hydrocarbures, constitue son socle électoral. Vladimir Poutine, alors premier ministre, y voit une trahison.
Le pouvoir, qui compte sur l’essoufflement du mouvement, le traite par le dédain. Mais le 24 décembre 2011, cent vingt mille Moscovites, selon l’opposition, bravent le froid et s’agglutinent sur l’avenue Sakharov. Dans les rangs des contestataires, le ton est de plus en plus dur. Parmi les orateurs, l’avocat et blogueur anticorruption Alexeï Navalny fait sensation et s’impose peu à peu comme l’un des principaux opposants à Vladimir Poutine.
Le mouvement se poursuit de façon sporadique jusqu’à l’élection présidentielle du 4 mars 2012, à Moscou et dans une moindre mesure en province. Le parallèle avec les manifestations qui se déroulent à la même époque dans plusieurs pays arabes est dressé, tant dans le camp des opposants que du côté du pouvoir. Dès décembre, le Kremlin accuse les Etats-Unis d’orchestrer la protestation et de payer les manifestants. Unique concession, il annonce l’installation de webcams censées empêcher les fraudes dans les bureaux de vote.
Le 4 mars, alors que la contestation n’est pas entièrement endiguée, 65 % des électeurs se rendent aux urnes, et Vladimir Poutine est élu dès le premier tour avec 64 % des voix. Si le phénomène de fraude est moins massif, « des irrégularités de procédures ont été observées », dit l’OSCE. En Tchétchénie, Poutine obtient 99,8 % ; à Novossibirsk, en Sibérie, les opposants remarquent que les bulletins dépouillés représentent 146 % de la population.
Le 6 mai 2012, veille de l’investiture du président élu, et alors que le mouvement semble s’être essoufflé depuis la réélection du président, les abords de la place Bolotnaïa se remplissent. Le dernier sursaut de l’onde contestataire, dans une ambiance tendue.
La reprise en main du Kremlin
Ce jour-là, la réponse violente des forces de l’ordre sonne le glas des espoirs de l’opposition. Deux cent cinquante personnes (selon les autorités) sont arrêtées. La condamnation de vingt-huit des manifestants à des peines allant jusqu’à quatre ans de prison, dans les mois qui suivent, marque définitivement la reprise en main du régime. Cette répression est complétée par l’adoption progressive d’une série de lois — cinquante depuis 2012, selon le relevé de la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’homme) — réduisant la liberté d’expression ou les capacités de mobilisation de l’opposition, à commencer par une législation nouvelle contre « l’extrémisme ». Le contrôle des médias est resserré.
Dans le même temps, note Tatiana Kastouéva-Jean, une certaine libéralisation est amorcée, avec le retour du scrutin direct pour l’élection des gouverneurs (avec néanmoins des mécanismes de présélection des candidats), un assouplissement des règles d’enregistrement des partis politiques et l’abaissement du quota de signatures pour se présenter à l’élection présidentielle.
La priorité, surtout, est d’assurer le bon déroulement des journées de scrutin, avec celui du 18 mars en ligne de mire. « Des consignes ont été données afin de limiter les fraudes les plus visibles, dit la chercheuse. C’est désormais en amont que le contrôle s’exerce. » En premier lieu, le choix des candidats : le principal opposant, Alexeï Navalny, n’a pas été autorisé à se présenter du fait de condamnations passées. Tout aussi important, l’encadrement des votes, une vieille tradition héritée de l’époque soviétique : « Des instructions sont données dans certains organismes publics. Le jour du scrutin, les électeurs devront prendre en photo leur bulletin de vote et l’envoyer à un responsable. »
La Russie en a-t-elle fini avec les fraudes ? Dans une vidéo publiée à la veille du scrutin, l’équipe d’Alexeï Navalny montrait avec quelle facilité l’un de ses membres avait pu obtenir le droit de voter dans plusieurs bureaux de vote. Pour ce 18 mars, date anniversaire de l’annexion de la Crimée par la Russie, l’opposition tente de mobiliser des milliers de volontaires, en complément du travail effectué par quelque cent cinquante observateurs internationaux.
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