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Globalised Islam

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(This book review is published in French only. Original book's title: L'Islam mondialisé)

Dans la montagne d’ouvrages souvent médiocres consacrés au 11 septembre, à l’antiaméricanisme, à l’islam et à ses terroristes, ceux d’Olivier Roy se distinguent par leur qualité et leur niveau d’exigence. A l’automne 2002, ce spécialiste de l’Afghanistan et de l’Asie centrale en publie trois coup sur coup: Réseaux islamiques est une enquête dans les mouvements néo-fondamentalistes afghano-pakistanais; Kaboul-Washington se présente comme une étude politique de l’après-11 septembre; L’Islam mondialisé reprend, dix ans plus tard, l’analyse d’un islam occidentalisé, individualiste et foncièrement apolitique esquissée dans L’Echec de l’islam politique .
En 1992, le livre d’O. Roy avait déclenché une polémique: comment parler d’échec de l’islam face à la ré-islamisation des sociétés occidentales, aux succès des partis islamistes au Moyen-Orient, aux coups d’éclats des groupuscules jihadistes? O. Roy persiste et signe: la ré-islamisation, sous forme de reconstruction identitaire, d’individus déracinés en terre d’Occident n’a rien à voir avec l’échec du projet de construction d’un Etat islamique.
Certes, les mouvements islamistes participent désormais au jeu politique en Jordanie, au Maroc ou en Algérie. Il arrive même qu’ils accèdent au pouvoir comme en Turquie en 1996-1997, puis qu’ils s’y maintiennent comme en Iran, depuis la révolution de 1979. Cela n'est pas sans conséquences: dans tous ces pays, les régimes en place ont pris un tournant conservateur pour contrer la percée islamiste (par exemple sur le statut de la femme). Mais le projet de construction d’un Etat islamiste a partout échoué (sauf peut-être chez les Talibans qui, de manière révélatrice, ont été incapables d’administrer l’Etat et son économie, se bornant à édicter des oukases en matière de mœurs). C’est, au passage, la preuve que l’insertion et la banalisation des partis islamistes dans un jeu politique national ouvert est peut-être le meilleur moyen de conjurer la menace fondamentaliste.
Si l’islam n’a pas pris le pouvoir au Moyen-Orient, il a en revanche réussi à pénétrer l’Occident. Mais c’est moins la conséquence d’un projet politique expansionniste que celle de la mondialisation des idées, des croyances et des migrations. L’islam en Occident est la (re)découverte par des immigrés déracinés de leurs racines. Il s’agit d’une religion minoritaire dont la pratique ne va pas de soi: le respect du ramadan, la prohibition de l’alcool, le port du voile sont des pratiques discordantes et contraignantes qui doivent s’affirmer en Occident contre le consensus social.
Cet islam et sa redécouverte sont triplement individuels. Ils ne s’inscrivent pas dans un environnement social coercitif. Ils ne s’appuient pas sur une communauté culturelle: les musulmans d’Occident sont aussi bien des Arabes que des Iraniens, des Indonésiens, des Occidentaux convertis, communiquant d’ailleurs quasi exclusivement en anglais. Ils ne sont soumis à aucune coercition juridique et religieuse.
Du coup, cet islam individuel et 'diasporique' se caractérise par son hétérogénéité. Sans cadre, sans contrainte, les musulmans d’Occident se 'bricolent' sinon leur religion –le Coran et les principaux hadith restent le lexique de base de tous les croyants– du moins leur religiosité, c’est-à-dire leur pratique de la foi. Internet est le lieu privilégié de ce 'bricolage'. Dans cet espace déterritorialisé et aculturel se crée une communauté virtuelle des croyants. Le savoir y circule de manière horizontale, sans hiérarchie. Tout internaute est à la fois récepteur et émetteur. Internet favorise 'autodidactisme et auto-proclamation' (p. 90); paradoxalement, il ne favorise d'ailleurs pas la discussion critique mais plutôt la diffusion d’une vulgate assez pauvre et très orthodoxe.
Cet islam occidentalisé, individuel, 'bricolé', relié à l’universel par la Toile, relié au local par la fréquentation commune d’une mosquée, peut aussi bien prôner l’humanisme (loin de la martyrologie traditionnelle, l’islam éclairé prône l’épanouissement individuel, la vie éthique et la recherche du bonheur) que le retour au respect scrupuleux du Coran. Ce néo-fondamentalisme ou salafisme obsédé par le retour au 'vrai islam' prospère en Occident aussi bien chez les scientifiques déracinés que parmi les Beurs de Roubaix ou les Pakis de Brixton déracinés, déculturés, désocialisés.
La frange la plus extrémiste du néo-fondamentalisme peut verser dans le terrorisme sur la foi d’une interprétation exagérée de l’obligation individuelle du jihad. Il reprend le discours et les moyens d’action d’un anti-impérialisme jusqu’ici plutôt laïque et d’extrême gauche (le parcours d’un John Walker Lyndh n’est pas sans rappeler celui d’une Ulrike Meinhof, en rupture avec sa famille et son milieu). Autour d’un noyau de vieux militants arabes, formés en Afghanistan, Al-Qaida a recruté en Occident des immigrés déracinés récemment (re)convertis à l’islam le plus orthodoxe. Leur ré-islamisation s’est effectuée sous le signe d’une triple rupture: avec leur pays d’origine (les terroristes ont quitté le Moyen-Orient, accusés d’avoir trahi le 'vrai islam', et vivent en Occident, dont ils ont adopté les coutumes), avec leur famille (Zaccarias Moussaoui a vu sa mère pour la dernière fois en 1997 avant d’être arrêté en août 2001 alors que les kamikazes palestiniens des Territoires occupés continuaient d’être soutenus par leur famille), avec leur pays d’origine (l’échec de leur assimilation professionnelle exacerbe leur anti-occidentalisme).
Néanmoins, O. Roy nous met en garde contre le danger de réduire l’islamisation à sa radicalisation. Certes, les musulmans d’Occident se ré-islamisent, faute souvent de s’intégrer dans une société qui leur est hostile. Mais, de là à poser des bombes, il y a un pas que bien peu franchissent. Et ceux qui le franchissent n’ont aucun projet, aucune stratégie. Pour eux, l’acte terroriste est une fin en soi, dans une logique nullement révolutionnaire, mais 'millénariste et suicidaire' (p. 203). Cette forme d’action ne pose donc aucun défi géopolitique ni même 'civilisationnel': il s’agit tout au plus, conclut l’auteur, d’un problème sécuritaire et social.

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