Reconciliable Differences: U.S.-French Relations in the New Era
(This book review is published in French only.)
La Brookings Institution a eu l’excellente idée, sur le thème inépuisable des préjugés, malentendus et querelles entre la France et les Etats-Unis, d’instaurer un duo dans lequel Michael Brenner, de l’université de Pittsburgh, et Guillaume Parmentier, chef du Centre français sur les Etats-Unis à l’Institut français des relations internationales (Ifri), se complètent plus qu’il ne se répondent.
Le mérite essentiel de ce livre bref et synthétique est de présenter la relation franco-américaine par une description concrète, centrée sur la période écoulée depuis la crise finale du système communiste. Il s’agissait alors de définir la nouvelle organisation internationale et, en particulier, la structure de la future Europe, son rôle dans le monde et ses relations avec les Etats-Unis.
Le livre montre qu’à la différence d’autres acteurs, la France et les Etats-Unis ont conçu chacun, à l’époque, leur scénario préféré. La France voyait une Europe où le rôle central serait joué par la Communauté économique européenne (CEE), laquelle acquérrait, avec des compétences en matière de diplomatie et de défense, une véritable autonomie par rapport aux Etats-Unis. Quant au schéma américain, il reconnaissait une place à l’intégration européenne, mais à la stricte condition qu’elle s’insère dans l’ensemble plus vaste comprenant les Etats-Unis, le rôle de pivot étant alors joué, non par l’Europe en voie d’unification, mais par une Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) réadaptée à des tâches nouvelles.
Depuis 1991, les relations franco-américaines ont été marquées par la confrontation de ces deux modèles. Or, comme le font ressortir les auteurs, les deux scénarios n’ont pas été perçus avec la même netteté de part et d’autre de l’Atlantique. Si les Français ont bien vu en quoi consistait le plan américain d’un ensemble euro-atlantique, il n’est pas sûr que les Américains se soient réellement aperçus de l’existence d’un modèle français distinct. De sorte qu’à Washington, les objections répétées de Paris au renforcement de l’OTAN ont été perçues comme des attaques prononcées sans raison particulière, pour le simple plaisir de s’opposer à la puissance américaine. Ceci découle du caractère asymétrique de la relation entre les deux pays, bien souligné par nos auteurs. L’obsession française quant aux Etats-Unis, notent-ils, contraste singulièrement avec la relative indifférence de ceux-ci à l’égard de la France.
Les développements consacrés à la tentative presque réussie de règlement des rapports entre la France et l’OTAN, effectuée par le gouvernement Juppé en 1995-1996, illustrent bien le mécanisme des malentendus: erreur américaine sur les intentions réelles des Français qui voulaient, non s’approprier le Commandement Sud de l’OTAN, mais le faire tourner entre des titulaires européen; défauts de communication du côté français. D’un effort français sincère, il est à peine resté un vague souvenir.
M. Brenner et G. Parmentier décrivent également l’aspect économique des malentendus, soulignant ce que ces incompréhensions réciproques doivent aux différences de conception de la gestion de l’économie prévalant dans chacun des deux pays. L’avenir des coopérations transatlantiques, notamment dans le domaine de la production d’armements, est évoqué avec une touche de scepticisme, les Américains étant à la fois trop puissants pour que ce type de coopération puisse être équilibré et trop méfiants dans le domaine de la sécurité.
Principalement consacré aux manifestations de l’incompréhension franco-américaine, ce livre n’ignore pas leur contexte historique lointain. Le fond des choses consisterait ainsi en une rivalité de puissance impossible à arbitrer puisqu’elle se joue, à travers le temps, entre une puissance d’autrefois, nourrie d’Histoire, et une puissance nouvelle qui se fait gloire d’attacher peu d’intérêt au passé. Nonobstant cette différence irréductible, le climat des relations évolue, les intérêts s’ajustent, et les auteurs n’ont pas de mal à juger que les rapports entre la France et les Etats-Unis sont aujourd’hui incomparablement plus amicaux que dans les années 1960. Au demeurant, le grand intérêt de ce livre est de montrer aux lecteurs américains que la spécificité française n’est pas le résultat de l’ego des dirigeants ou de leur désir de s’opposer à tout prix aux Etats-Unis, mais qu’elle est réelle et fondée. Et de suggérer que, pour les Etats-Unis, une 'politique sur mesure' à l’égard de la France, selon leur expression, pourrait grandement renforcer l’efficacité de leur politique européenne.
Ce travail apporte enfin une confirmation supplémentaire de l’utilité du travail en commun entre chercheurs français et américains: la coopération entre la Brookings Institution et le Centre français sur les Etats-Unis à l’Ifri en est une illustration privilégiée.