Hyperterrorisme: la nouvelle guerre
Sont également commentés dans cette note:
– Un monde à repenser, 11 septembre 2001
Eric de La Maisonneuve et Jean Guellec (dir.), Paris, Economica, 2001, 208 p.
– Les Leçons du 11 septembre
Pascal Boniface (dir.), Paris, PUF-Iris, 2001, 134 p.
– La Charia et l'Occident
Jean-Paul Charnay, Paris, L'Herne, 2001, 142 p.
L’expertise est un métier dangereux puisqu’il somme d’écrire tout de suite en permettant d’être relu plus tard. Les trois premiers ouvrages ont couru le risque. Ils ont enregistré, vite, l’ampleur du séisme, en s’efforçant de poser des questions de long terme sur le devenir du système international.
Le 11 septembre a-t-il ouvert une phase nouvelle des relations internationales? La réponse n’est toujours pas acquise. On trouvera dans ces pages des analyses diverses, du diagnostic d’un véritable 'basculement du monde' (F. Heisbourg) jusqu’à une appréciation plus limitée des changements de la scène internationale (P. Boniface : 'Les rapports de force mondiaux entre les grandes puissances n’ont évolué que modérément'), en passant par l’idée que les attentats ont été littéralement produits par les échecs et les inadaptations de nos politiques durant la dernière décennie (E. de La Maisonneuve).
Ce qui importe, bien sûr, quelques mois plus tard, c’est de retrouver dans ces livres les éléments d’une approche de long terme: spécificité ou non de ce phénomène terroriste, genèse géopolitique de l’événement, vulnérabilité des sociétés développées, moyens politiques et militaires de réponse, rôle des dynamiques changeantes de la planète dans la production de l’ordre ou du désordre mondial… Chacun de ces ouvrages apporte sa contribution: de façon très systématique pour celui de la Fondation de recherche stratégique, qui tente de couvrir au maximum le champ (pari osé sitôt après l’événement); de façon plus ponctuelle dans le recueil de textes aux approches diverses proposé par E. de la Maisonneuve; de façon souvent fouillée dans le bouquet de courtes monographies réunies par P. Boniface.
Deux thématiques, plus ou moins explicitées par ces livres, montrent bien la complexité d’un exercice qui veut allier l’observation immédiate à la prévision stratégique. La première est celle des dépenses de défense. L’émotion aidant, chacun appelle ou prévoit l’augmentation des budgets, en particulier européens, même si avec des enthousiasmes différents (plus nets dans les ouvrages dirigés par MM. Heisbourg et La Maisonneuve). Quelques mois plus tard, la question en est pourtant revenue à l’ordinaire, et les prévisions de hausse, hors Etats-Unis, semblent aventurées. Après tout, on explique aux Européens depuis des années qu’il faut augmenter leurs budgets militaires pour intervenir dans le règlement des crises, et maintenant qu’il le faut pour lutter contre le terrorisme: a-t-on bien pris le temps de la réflexion analytique pour savoir réellement quels sont les besoins, dans quelle mesure ils sont nouveaux et s’ils mettent en cause le volume et la structure des dépenses actuelles?
La deuxième thématique est celle du très fameux 'choc des civilisations'. Si publiquement reprise depuis 10 ans, si rapidement enterrée depuis septembre, elle ne mérite ni tant d’honneur ni tant d’indignité. Comme modèle d’interprétation, et non comme instrument de prévision, elle constitue un élément conceptuel parmi d’autres. La peur fort compréhensible de ce choc, qui a conduit chacun à discréditer l’idée dans les jours et les semaines suivant le 11 septembre, ne conduit-elle pas à une dangereuse inhibition? Comment saisir le monde actuel sans penser l’opposition entre bénéficiaires et délaissés de la globalisation à l’américaine, entre hyper-richesse et pauvreté, sans décrypter le poids politique du discours religieux dans certains cadres socio-économiques: or, ces fractures ne peuvent-elles faire l’objet de cristallisations idéologiques sur des soubassements culturels? Et s’abstenir de le dire, de le penser, n’est-ce pas d’avance se priver des moyens de l’éviter? La question est certes fort complexe, comme le rappelle J.-P. Charnay dans son court et dense ouvrage: 'Dans l’instant, plus qu’entre l’Orient et l’Occident, c’est à l’intérieur même de l’islam que retentit de choc des civilisations...'
Cette complexité n’interdit pourtant pas de voir une novation essentielle du 11 septembre: pour la première fois, un dommage d’ampleur militaire a été infligé sur le territoire d’une puissance par un acteur qui n’est pas une puissance –et cet acteur vient du 'Sud' et fonctionne sur magma culturo-religieux…
On trouvera dans ces ouvrages de quoi nourrir une réflexion qui ne fait que commencer. Il en est du 11 septembre comme de tout électrochoc: s’il ne change pas le monde, au moins il nous change, nous, et notre vue du monde.