La Politique de l'Union européenne en Russie (1990-2000). De l'assistance au partenariat ?
Le héros de ce livre s'appelle TACIS (Technical Assistance to the Commonwealth of Independent States). Fondé sur une abondante littérature communautaire et une riche bibliographie complétées par une trentaine d’entretiens menés à Bruxelles et Moscou (entre mars 1997 et janvier 2000), cet ouvrage retrace la gestation et la mise en œuvre de ce programme, qui alimente, depuis 1992, les relations russo-européennes. Le projet de Laure Delcour consiste à replacer TACIS dans une perspective à la fois temporelle et spatiale, afin d’observer 'la naissance d’une politique' publique européenne à travers le prisme de l’assistance technique.
Soulignant la rupture introduite par l’effondrement de l’Union soviétique, l’auteur constate que la Communauté européenne a su réagir en inventant rapidement un dispositif d’intervention. De nature empirique, cette politique a contraint Bruxelles à conduire une démarche inédite à la fois réflexive et prospective. Rappelant les débats incessants sur la place en Europe de la Russie ainsi que les différences nationales de perceptions de cette dernière, Laure Delcour considère que les relations russo-européennes, en raison de leur caractère inévitable, offrent un point d’observation privilégié du rôle international de l’Europe communautaire. Autrement dit, évaluer TACIS revient à analyser une composante essentielle de la politique européenne à l’égard de son 'étranger proche'.
Cherchant à ouvrir la 'boîte noire' du programme, l’ouvrage décrit avec précision les procédures juridiques et les rouages administratifs mis en œuvre. Sur ce point il apporte beaucoup. Les rapports entre les Etats membres et la Commission, d’une part, et entre la Commission, l’unité de coordination, l’unité de monitorat de Moscou et les divers consultants, de l’autre, sont finement analysés. L. Delcour insiste notamment sur le rôle décisif des task managers dans le fonctionnement du programme. Chargés de la préparation des termes de référence (travail fréquemment confié à des experts extérieurs), ces fonctionnaires de la DG IA détiennent le pouvoir de décision final pour le suivi d’un projet. En filigrane, l’auteur pointe la contradiction entre une transparence affichée par la Commission, qui est génératrice de lourdeurs et de retards, et une proximité parfois ambiguë entre décideurs, experts et consultants, qui est la condition d’un meilleur pragmatisme.
Toutefois, le parti pris descriptif de l’ouvrage provoque une triple frustration chez le lecteur. Au plan politique, la perspective retenue est très restrictive. Certes, l’auteur rappelle le cadre législatif dans lequel s’inscrit TACIS ainsi que deux données fondamentales –la distinction radicale PECO/Russie et le refus presque dogmatique d’envisager l’adhésion de la Russie–, mais il ne livre pas d’éléments stratégiques de compréhension. La vision stratégique européenne (ou son absence) ainsi que la réception russe de ce programme ne sont guère analysées. Il faut attendre la conclusion pour que la question, pourtant cruciale, d’un modèle européen de société, diffusé par les programmes d’assistance technique, soit effleurée.
Au plan socio-économique, l’ouvrage n’offre pas de véritable évaluation du programme. L’analyse des grandes masses financières ne permet pas d’apprécier sa portée réelle. Au plan microéconomique, les rares données ne permettent pas non plus de se rendre compte de l’impact sur une ville ou une région des projets TACIS. L’ouvrage aurait probablement gagné à examiner une petite série de projets en détail afin d’observer au plus près la portée de ce type d’aide technique. Sans cas d’étude précis et fouillé, le lecteur peine à se faire un avis sur son utilité. Mais c’est au plan méthodologique que l’on reste le plus frustré: il s’agit moins d’un livre que d’un rapport. La vision proposée est désincarnée. C’est d’autant plus dommage et paradoxal que l’auteur souligne, à juste titre, 'le rôle fondamental' des acteurs sur le terrain, et que l’auteur a su glaner, grâce aux entretiens, des commentaires significatifs. Mais sur le profil, la formation, la nationalité, les motivations et les désillusions des acteurs européens et russes, le lecteur n’apprend rien. L’image d’un TACIS monstre technocratique, froid et abstrait, en sort puissamment renforcée.
Ces remarques ne doivent pas masquer l’intérêt de cet ouvrage pour comprendre les mécanismes bruxellois et saisir la complexité de l’assistance technique proposée par TACIS.