Le Chef d'Etat et le droit international
Le thème du colloque annuel de la Société française pour le droit international vient à son heure, au moment même où une commission de douze juristes –où ne figure aucun internationaliste– prépare un rapport sur le statut pénal du président de la République française. Organisés en trois temps, les travaux portent d'abord sur la 'définition du chef d’Etat', à partir d'un très substantiel rapport de J.-P. Pancracio sur 'l'évolution historique du statut du chef d'Etat' qui est une mine d'anecdotes mais aussi de précisions juridiques. La question reste actuelle, comme on le voit dans certaines situations où le chef nominal de l'Etat n'est pas le véritable détenteur du pouvoir, que ce soit dans les monarchies constitutionnelles ou dans les régimes communistes, ce qui a des conséquences importantes en matière d'immunités. De même, J. Andréani, analysant 'l'entourage du chef d'Etat', montre, avec tact, les contours, de plus en plus délicats à fixer, des privilèges accordés à la 'famille'.
En droit, privilèges et immunités du chef d'Etat dérivent de la souveraineté même de l'Etat qui interdit toute sujétion à une puissance étrangère, comme le rappelle J. Salmon en étudiant la notion de 'représentativité internationale', tandis qu'Y. Gautier présente 'le chef d'Etat et les engagements internationaux'. Mais, plus que cette deuxième partie relativement brève et classique sur 'les fonctions internationales du chef d'Etat', c'est la troisième partie, intitulée 'Protection et responsabilité du chef d'Etat', qui aborde les questions les plus actuelles, avec une belle et dense ouverture de M. Cosnard sur 'les immunités du chef de l'Etat'. Sur le plan interne, I. Pingel-Lenuzza examine 'la protection du chef d'Etat étranger' qui, en droit français, est en cours de banalisation au nom de la liberté d'expression, comme l'ont démontré certains contentieux récents à Paris et à Strasbourg en matière d'outrage à un chef d'Etat étranger. En tant que 'demandeur', le chef d'Etat étranger serait désormais soumis au droit commun; mais reste-t-il protégé en tant que 'défendeur' ou même de 'témoin assisté'? La Cour de cassation a tranché clairement dans l'affaire Kadhafi, en écartant les plaintes des victimes de l'attentat du vol d'Air Afrique.
Mais de nouveaux contentieux en cours devant le juge français, au nom de la 'compétence universelle', soulignent les difficultés diplomatiques d'une telle évolution, alors que les obstacles de principe –sinon pratiques, comme on l'a vu avec l'arrestation du président S. Milosevic– ne se posent pas de la même façon devant le juge international. Une passionnante table ronde réunissant universitaires et praticiens, notamment Cl. Jorda, le président du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, et R. Ranjeva, juge à la Cour internationale de justice, a permis d'illustrer, trop rapidement, ces enjeux. La pénalisation de la vie internationale renforce ainsi paradoxalement la tendance à la personnalisation du pouvoir qui était à l'origine de l'identification du souverain et de l'Etat, venant dédoubler ou redoubler la responsabilité personnelle du chef d'Etat et la responsabilité internationale de l'Etat.