Sécurité, l'après-New York
Quelle sécurité pour le monde, et pour chacun de nous, après le 11 septembre? Bien pusillanimes sont ceux qui prétendraient éluder la question, mais rares sont ceux qui se risqueraient à proposer une réponse. Dominique David a relevé le défi dans un livre d'une qualité exceptionnelle. Le secret de sa réussite tient d'abord à la maîtrise de la rédaction. On ne redira jamais assez les mérites des collections de poche, qui obligent l'auteur à se concentrer sur l'essentiel et qui incitent, comme c'est le cas ici, à répudier délibérément les notes de bas de page: plus question de s'égarer dans les chemins de traverse, ni de chercher appui dans la pensée des autres. Il faut livrer le meilleur de soi-même.
Pour remarquable qu'il soit, l'exercice de style n'est pas le seul mérite du livre. La maîtrise est aussi celle de la pensée face à un sujet redoutable. Il s'agissait d'abord d'identifier la menace, son origine et sa nature. Récusant aussi bien le jeu du hasard que celui de la nécessité, D. David cherche l'explication dans l'Histoire. A la faveur de la perte de vigilance, consécutive a la fin de la guerre froide (ce que l'auteur appelle le 'chaos stratégique'), a surgi un nouveau type d'acteur, caractérisé par l'irrationalité du comportement (au regard de nos codes et de nos pratiques). L'asymétrie est là, plus que dans le déséquilibre apparent des forces militaires. Du nouvel adversaire on ignore la véritable identité, les objectifs qu'il veut atteindre et les moyens qu'il compte utiliser pour y parvenir. D'où l'incertitude, qui constitue aujourd'hui le principal facteur d'insécurité. Les attentats du 11 septembre sont porteurs d'une menace inédite, multiforme et globale, contre laquelle il n'est pas facile d'organiser la parade: 'Nous ne pourrons pas choisir les situations dans lesquelles notre sécurité sera menacée et, pis, nous ne les connaissons pas toutes.' Le danger est d'autant plus grand que la stratégie adverse s'appuie sur les défaillances de notre propre système: 'Plus qu'ils ne la créent, les attentats de septembre rendent visible une géographie des vulnérabilités internes générées par notre propre développement.' L'exemple du progrès technique 'qui accroît la vulnérabilité plus vite qu'il n'augmente les moyens de la combattre' suffit à en apporter la confirmation.
Dans ces conditions, la recherche du risque zéro est inutile parce que d'avance vouée à l'échec. On ne peut que tenter de diminuer les risques, en choisissant et en articulant les modes de défense appropries : 'La sécurité n'est pas assurée par la seule sauvegarde contre les agressions physiques. Et dans la mesure où cette sauvegarde est nécessaire, elle-même ne peut pas être assurée par les seuls instruments militaires. Partout s'affirme donc cette nécessité de penser simultanément des niveaux différents d'action', ce qui implique l'organisation d'un acteur collectif porteur d'un 'système de décision intégré'.
Le moins que l'on puisse dire est que nous sommes encore loin du compte aujourd'hui. Les Etats-Unis, qui restent la cible principale, sont victimes d'une obsession sécuritaire qui risque de masquer leur propre vulnérabilité. A la recherche d'un illusoire bouclier protecteur, ils mènent le jeu stratégique sans se soucier d'une réelle concertation avec leurs alliés, ni d'une attention suffisante à ce que D. David appelle les 'zones grises'. II faut entendre par-là des secteurs qui sont de dangereux foyers d'insécurité (le Moyen-Orient) ou de révolte (l'Afrique noire). La menace islamiste fait l'objet d'une appréciation judicieuse. Sans céder à la thèse du 'clash de civilisation', l'auteur admet que le 'discours religieux' est le seul disponible, dans les pays arabo-musulmans, face à l'échec des thérapies locales. Et il ajoute : 'Que ce discours interprète légitimement ou non les énoncés de base des religions concernées importe peu. Ce qui compte, c'est son efficacité opérationnelle pour assurer la survie de telle ou telle partie de la société, et sa capacité à exprimer du politique quand aucun autre chemin n'est disponible.'
De ce qui précède, on peut conclure que la défense contre la menace terroriste de la nouvelle génération ne peut être qu'un dispositif en profondeur, axé sur la protection armée, mais aussi et surtout sur le maillage des services de renseignement et sur les mesures de prévention, diplomatiques ou économiques visant à réduire sinon à éliminer les tensions dans les zones grises. Un tel dispositif ne peut être que global et reposer sur une action concertée. Une fois de plus, l'Europe semble avoir manqué le rendez-vous de l'Histoire. 'Pour s'adapter et jouer ses cartes vite, dans un monde qui a besoin de méthodes et d'acteurs nouveaux, il faudrait que l'Union se décide à décider. Nous sommes loin du compte. Et ce n'est pas le déroulement de médiocres campagnes électorales qui incitera les citoyens à s'élever au-dessus du seuil de leurs préoccupations domestiques et immédiates. Mais si l'Europe reste en marge, elle risque d'être victime de l'insécurité ou de n'échapper à celle-ci que pour tomber sous le protectorat américain.'
Tels sont quelques-uns des enseignements de ce livre magistral, auquel il faut souhaiter une très large diffusion parmi tous les 'citoyens' qui sont concernés par notre avenir.