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Davantage d’énergies renouvelables en Europe ? C’est possible

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L’Union européenne s’apprête à adopter de nouveaux objectifs de déploiement des énergies renouvelables pour 2030. S’il est tout à fait possible d’aller au-delà des 27% initialement proposés, la stratégie européenne ne sera crédible que si elle s’appuie sur un bon dosage entre contraintes chiffrées et obligations de moyens, tout en incluant d’éventuelles clauses de revoyure.

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Déjouant les pronostics, les représentants des 28 États (Conseil) et les 751 députés (Parlement européen) ont mis au point les modifications qu’ils souhaitent introduire dans les propositions présentées par la Commission européenne en novembre 2016 et regroupées en un vaste ensemble de textes législatifs et réglementaires, dit paquet « Énergie propre », dessinant le nouveau cadre applicable jusqu’en 2030 pour tout le secteur énergétique[1].

Les divergences entre les trois institutions sur la part des énergies renouvelables dans la consommation finale à viser pour 2030 sont fortes, car les États voudraient majoritairement s’en tenir à 27 % alors que les députés demandent 35 %. La Commission semble se ranger aux côtés du Parlement, si l’on se fie aux commentaires approbateurs du Commissaire à l’Énergie, lors de la publication du rapport REmap commandé à l’IRENA (Agence internationale pour les énergies renouvelables[2]). Selon ce rapport, le prix des équipements (principalement éoliens et photovoltaïques) a suffisamment baissé pour que l’Union européenne (UE) puisse atteindre une part de 34 % d’énergies renouvelables en 2030, sans surcoût notable. Les parlementaires disposent toutefois de l’étude RED Target, menée par leurs propres services[3], qui incite à une interprétation prudente des résultats du rapport REmap.

C’est possible, mais à quel coût ?

Au vu des ressources exploitables dans l’UE, la plupart des projections montrent qu’un objectif de 35 % d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique finale se traduirait par une part de 60 à 65 % d’électricité de source renouvelable.

Une telle part d’électricité d’origine renouvelable nécessite le recours massif aux productions éoliennes et photovoltaïques. Celles-ci requièrent à leur tour un renforcement substantiel des réseaux, ainsi qu’un développement des outils de flexibilité, afin de pallier la variabilité du vent et du soleil. Cependant, de nombreuses études omettent les coûts associés aux réseaux et à la flexibilité. Le rapport REmap, par exemple, indique clairement qu’il ne prend pas en compte ces coûts.

Notons ici que l’on compare le plus souvent le coût de deux installations neuves, par exemple une centrale à gaz avec une ferme éolienne. Cette dernière est devenue désormais moins chère, mais pour les pays dont la consommation est stable et qui détiennent un parc conventionnel récent, il paraîtrait plus pertinent de comparer le coût du mégawatt-heure (MWh) issu d’une ferme éolienne neuve avec celui produit par une centrale existante, nucléaire, à gaz ou au charbon. Ironie de la situation, la réforme du système d’échange de quotas carbone (ETS[4]) est insuffisante pour majorer significativement le prix du CO2, de sorte que les centrales au charbon, pourtant les plus polluantes, ne seront guère menacées par l’essor des renouvelables. La trajectoire de l’Allemagne illustre ce paradoxe, avec une production électrique à partir de sources fossiles ayant baissé de moins de 4 % entre 2000 et 2017, alors que la capacité installée en sources renouvelables a augmenté de 600 % sur la période[5].

Au-delà des aspects économiques, les considérations géopolitiques et la facture énergétique extérieure de l’UE, voisine d’un milliard d’euros par jour, plaident en faveur d’un renforcement de la part des énergies renouvelables[6], de même que la perspective de rehausser les engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris.

La clé de la réussite réside probablement dans le tempo des évolutions.

C’est possible, mais à quel rythme ?

Sur le plan technique, il convient certes d’accomplir encore des avancées dans les domaines de l’intégration des systèmes de stockage de l’électricité, de l’utilisation des outils numériques pour mieux ajuster la demande à l’offre, et de la valorisation du potentiel éolien offshore[7], mais on ne discerne pas d’obstacle majeur à l’encontre de ces progrès. Les contraintes sociétales, foncières, administratives, environnementales ou encore militaires peuvent freiner le déploiement des installations renouvelables, même si l’on travaille actuellement à leur assouplissement. En revanche, un danger autrement plus grave pourrait naître d’un retournement de l’opinion publique. Il pourrait survenir si l’on ne mettait pas en place des dispositifs d’accompagnement destinés à atténuer les secousses provoquées par un passage de 20 % à 35 % d’énergies renouvelables en dix ans.

Le premier des dispositifs à prévoir concerne la cohésion de l’UE. Les évaluations que l’on trouve dans le rapport REmap ou ses équivalents demeurent fondées sur un coût moyen, établi en valeur actualisée (LCOE[8]). Dans le cas des sources éolienne et photovoltaïque, le LCOE moyen cache de grandes disparités, car le coût du capital exerce une influence déterminante dans le calcul ; or il varie du simple au double entre certains pays d’Europe occidentale et divers pays d’Europe orientale ou méridionale[9]. La Banque Européenne d’Investissement (BEI) propose déjà un vaste ensemble de produits financiers aux porteurs de projets renouvelables, de grande ou petite taille, et ces derniers ont par ailleurs accès au Fonds Européen pour les Investissements Stratégiques (opérationnel jusqu’en 2020). Néanmoins, certains pays resteront défavorisés si l’on ne met pas en place des mesures correctrices supplémentaires, telles qu’un fonds de garantie communautaire dédié aux investissements bas carbone, et abondé notamment par les revenus de l’ETS, ou encore un renforcement des activités de la BEI dans les pays les plus concernés par cette problématique de financement des projets renouvelables.

Un second dispositif concerne la cohésion sociale. Les études d’impact annoncent qu’un objectif de 30 % d’énergies renouvelables entraînera la fermeture de plus 150 gigawatts (GW) de capacités électriques conventionnelles, soit 27 % du parc en service en 2015[10]. Peut-on croire que la totalité des personnels ainsi mis à pied se reconvertira facilement dans les nouveaux métiers liés à la transition énergétique ? La Commission est bien consciente de la difficulté[11].

La Commission admet aussi que dans la même période, le coût du « système énergétique » augmentera. Dans un récent « non-papier », elle chiffre à 84 milliards d’euros par an la hausse du coût complet si l’on retient les objectifs 2030 préconisés par le Parlement européen (une part de 35 % d’énergies renouvelables et un gain de 35 % en efficacité énergétique[12]). Mais toute hausse, fût-elle modeste, exacerbera des tensions que masquent les données moyennes. À titre d’exemple, plusieurs pays font déjà porter l’essentiel des surcoûts sur les petits consommateurs, afin d’éviter à la grande industrie des charges affaiblissant sa position dans la compétition internationale. La part que les industriels ne paient pas majore le coût pour les autres consommateurs et à l’échelle européenne ces pratiques faussent la concurrence[13].

Le coût du système énergétique augmentant, les politiques de lutte contre la précarité énergétique vont en conséquence solliciter davantage le budget des États ou la solidarité entre consommateurs, et de fait amputer le pouvoir d’achat des citoyens qui ne bénéficient pas de ces politiques. Si le caractère contraignant envisagé par les députés en matière d’efficacité énergétique est entériné, ces « citoyens ordinaires » risquent en outre d’être astreints à des dépenses supplémentaires pour améliorer les performances de leur logement et de leur véhicule. On leur promet des factures allégées ultérieurement, mais le temps de retour sur investissement paraîtra toujours long[14]. Il conviendra donc de tenir pleinement compte du risque de rejet induit par cette contrainte.

Enfin, une ambition trop élevée peut se transformer en aubaine pour les fournisseurs étrangers de ressources et d’équipements. Le rapport REmap reconnaît sans ambages qu’un objectif de 34 % d’énergies renouvelables amènera l’UE à accroître ses importations de bois pour ses chaufferies et de biocarburants pour ses véhicules. Il en ira certainement de même pour les métaux critiques[15].

C’est possible, mais restons prudents !

Le paquet « Énergie propre » contient une singularité : il instaure un objectif commun pour les énergies renouvelables, mais sans outil communautaire correspondant pour. À défaut, les députés souhaitent 28 objectifs nationaux contraignants aboutissant à 35 % pour l’ensemble de l’UE, assortis de trajectoires précises pour leur réalisation par chaque État, sous le contrôle rigoureux de la Commission. Ils sont mus par le souci de procurer une grande visibilité aux acteurs industriels, dans l’espoir de consolider la filière et de parvenir à de nouvelles baisses de prix. L’intention est louable, mais une cible trop haute rendrait cette visibilité illusoire, exposant les professionnels à un risque de revirement brutal. Un bon dosage entre objectifs contraignants et simples obligations de moyens, une souplesse d’exécution laissée aux États et un rôle de facilitateur dévolu à la Commission offrent les meilleures garanties de réussite, en se laissant bien sûr la possibilité de réviser les exigences à la hausse, grâce à des clauses de revoyure régulière.

La crédibilité environnementale de l’UE ne s’apprécie donc pas uniquement au regard du chiffre retenu comme objectif en énergies renouvelables pour 2030. D’une part, le cadre tracé pour l’évolution des trajectoires nationales importera autant, si ce n’est davantage, qu’un objectif ambitieux à l’échelle de l’UE. D’autre part, l’arbitrage sur les renouvelables est indissociable des efforts consentis sur les autres domaines visés par le paquet « Énergie propre », notamment l’efficacité énergétique, et des politiques de réduction des émissions, y compris la réforme de l’ETS. Rappelons que l’intérêt d’une révision de tous les textes en parallèle était précisément d’éviter les interactions contre-productives. Il est donc crucial que l’UE avance effectivement de façon cohérente sur tous les fronts, pour enfin pouvoir aller au-delà de sa promesse de réduction des émissions pour 2030. Répétons-le : la mission d’exemplarité que se fixe l’UE lui interdit d’échouer.

 


 

[1]. Depuis février 2018, les représentants du Conseil, du Parlement et de la Commission sont réunis en trilogue pour parvenir à des compromis. Ces négociations devraient se poursuivre durant les prochains mois, pour une ratification finale, si accord il y a, avant les élections européennes du printemps 2019.

Lire à ce sujet : M. Cruciani, « Le paquet "Énergie propre" à mi-parcours », Édito Énergie, Ifri, décembre 2017, disponible sur : www.ifri.org.

[2]. IRENA (International Renewable Energy Agency), « Renewable Energy Prospects for the European Union », février 2018.

[3]. Parlement européen, Direction générale des politiques internes, « Renewable Energy Directive Target », Étude pour le comité ITRE, janvier 2018.

[4]. Le système ETS attribue un coût à chaque tonne de CO2 émise par les 12 000 plus grandes installations européennes.

[5]. Bundesministerium für Wirtschaft und Industrie, « Zahlen und Fakten Energiedaten », 23 janvier 2018, et Agora Energiewende, « Die Energiewende im Stromsektor: Stand der Dinge 2017 », janvier 2018, p. 16.

[6]. Commission européenne, « Prix et coûts de l’énergie en Europe », COM (2016) 769 du 30 novembre 2016, p. 4.

[7]. Une prochaine étude de l’Ifri abordera spécifiquement le développement de la production éolienne en mer du Nord.

[8]. LCOE : Levelized Cost of Energy, se traduisant par « coût actualisé de l’énergie ».

[9]. Projet DIACORE, sous la coordination de Fraunhofer ISI, « Policy Dialogue on the Assessment and Convergence of RES Policy in EU Member States », juillet 2016, p. 49.

[10]. PRIMES, E3MLab & IIASA, « Technical report on Member State Results of the EUCO Policy Scenarios », décembre 2016, pp. 70 et 188. Le modèle prévoit une réduction de 77 GW de capacité alimentée en combustibles solides, 38 en combustibles liquides, 30 GW en gaz et 11 GW nucléaire.

[11]. Saluons ici le lancement de la Plateforme pour les régions charbonnières en transition, par le Commissaire Miguel Arias Cañete, le 11 décembre 2017.

[12]. Commission européenne, « Non Paper on Complementary Economic Modelling Undertaken by DG ENER Regarding Different Energy Policy Scenarios », mars 2018, p. 5.

[13] Ainsi, grâce aux abattements consentis à l’industrie allemande, à consommation égale un fabricant installé à Aix-la-Chapelle paie l’électricité 41 €/MWh contre 71 €/MWh pour son homologue basé à Liège. D’après Deloitte, « Benchmarking Study of Electricity Prices between Belgium and Neighbouring Countries », Conférence de presse, 7 mars 2018, slide 5.

[14]. Dans les bâtiments existants, le temps de retour des investissements liés à l’efficacité énergétique est en général supérieur à 10 ans, souvent 20 ans, selon le prix de l’énergie.

[15]. G. Lepesant, « La transition énergétique face au défi des métaux critiques », Notes de l’Ifri, janvier 2018, disponible sur : www.ifri.org, et C. Mathieu, « L’Alliance européenne des batteries. Peut-on encore éviter la dépendance technologique ? », Édito Énergie, Ifri, 20 février 2018, disponible sur : www.ifri.org.

 

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Contenu disponible en :

ISBN / ISSN

978-2-36567-862-9

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Michel CRUCIANI

Intitulé du poste

Ancien chercheur associé, Centre Énergie & Climat de l'Ifri

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Le Centre énergie et climat de l’Ifri mène des activités et recherches sur les enjeux géopolitiques et géoéconomiques des transitions énergétiques. Il travaille à la fois sur les enjeux de sécurité énergétique, de compétitivité, de maîtrise des chaînes de valeur, et d'acceptabilité. Spécialisé dans l’étude des politiques européennes de l’énergie et du climat, et des marchés de l’énergie en Europe et dans le monde, ses travaux portent aussi sur les stratégies énergétiques et climatiques des grandes puissances comme les Etats-Unis, la Chine ou l’Inde. Il offre une expertise reconnue, enrichie de collaborations internationales et d'événements à Paris et à Bruxelles, notamment.

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