La lutte contre le changement climatique suppose cohérence et rationalité
A La fin de la Seconde Guerre Mondiale, quand la France manquait d’énergie pour la reconstruction et recrutait des mineurs pour ses houillères hors de la métropole, l’idée que les choix énergétiques devaient être orientés par les coûts -quitte à gratifier d’une prime les ressources nationales- était balayée par les bien-pensants de l’époque qui jugeaient rentable toute production nationale et proposaient même parfois de calculer les prix des biens à partir des grammes de charbon consommés pour les obtenir.
Progressivement pourtant les ingénieurs-économistes ont fait comprendre que les coûts, correctement calculés, reflétaient la valeur (pour la société) des ressources rares mises en œuvre pour cette production et que la recherche de la croissance économique (un objectif accepté à l’époque) imposait d’orienter les choix à partir d’un calcul comparant les coûts et les avantages des diverses solutions.
Dès lors, et pendant plusieurs décennies le calcul économique sera largement reconnu en France, étant entendu que les prix utilisés doivent être corrigés -dans un sens ou dans l’autre- pour tenir compte de impacts externes (positifs ou négatifs) des choix. Ainsi, en matière de transports, les ingénieurs des Ponts et chaussées introduiront l’évaluation du temps gagné ou perdu par les usagers. En matière d’énergie, au-delà des vicissitudes et sans que les décisions finales échappent au pouvoir politique, cette approche a assuré la cohérence de la stratégie française.
Malheureusement, c’est une toute autre image qu’offre aujourd’hui la politique de l’énergie, tant au niveau de l’Union qu’à celui des Etats-membres. Les décisions ne sont ni cohérentes, ni rationnelles au vu des objectifs annoncés.
A Bruxelles, les décisions résultent d’un jeu complexe entre les principes, les objectifs, les règles et des compromis plus ou moins boiteux.
Les principes d’abord. Ils sont soit affichés, soit tus. Les principes affichés comme la création d’un marché européen de libre concurrence sont suffisamment généraux pour qu’il soit difficile de ne pas y souscrire, mais les conséquences que l’on en tire sont plus théoriques que pratiques (j’y reviens dans quelques lignes). Les principes cachés ressemblent aux sujets tabous qu’il n’était pas convenable d’évoquer dans les salons de la bourgeoisie d’autrefois. Pour faire plaisir aux écologistes allemands, le nucléaire n’existe pas et plus généralement l’idéologie écologique impose des impératifs catégoriques quasi-religieux.
Les objectifs s’en ressentent. Alors que, du point de vue collectif, un seul est essentiel, la baisse des émissions de gaz à effet de serre, on y ajoute un pourcentage d’utilisation d’énergies renouvelables (20 %), une amélioration de l’efficacité énergétique (de 20 %) et même une part de biocarburants dans la consommation de carburants (un pourcentage oublié depuis que les calculs semblent montrer un effet défavorable des biocarburants de première génération sur les émissions de gaz à effet de serre).
Ces objectifs, on se préoccupe peu qu’ils soient atteints. Ceux fixés en 2000 pour 2010 ne sont nullement réalisés. Malgré la récession, il n’est pas sûr que la réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre soit obtenue en 2020. Pourtant, la direction de l’environnement et du climat envisage déjà de porter la cible de 2020 à moins 30 %. On se croirait en Afrique Sub-saharienne aux pires moments des plans irréalistes.
Quant aux règles, elles traduisent la hantise de la Commission de mettre en œuvre une cohérence théorique. Elle s’est battue avec acharnement pour couper, dans le domaine de l’électricité, production, transport et distribution comme si la baisse des coûts allait résulter de cette fragmentation. Elle a oublié l’interférence avec les gouvernements que je vais aborder dans le prochain paragraphe
Des compromis enfin et je n’en mentionnerai qu’un : lors de la première introduction des droits de tirage de CO2, ces droits ont été accordés gratuitement aux centrales thermiques à base de charbon, les faisant profiter d’un effet d’aubaine …
Viennent alors en lice les gouvernements nationaux. En se limitant pour simplifier au domaine électrique, ils interviennent doublement :
- Ils continuent à réglementer les tarifs de fourniture aux consommateurs, ne laissant comme arme de concurrence aux opérateurs que le sourire de leurs employés (que l’on ne peut d’ailleurs dans les meilleurs cas que joindre au téléphone).
- Ils jouent un rôle décisif dans les choix d’outils de production, soit en permettant ou interdisant le nucléaire, soit en subventionnant les énergies renouvelables.
En conséquence, il ne peut y avoir aucune concurrence entre les grands opérateurs au niveau de la production, ce qui achève de crever la baudruche de la concurrence.
Pour les énergies renouvelables, des subventions sont justifiées pour donner leurs chances aux progrès de la technologie, mais trois conditions sont nécessaires et ne sont pas remplies.
- des dispositions identiques dans les pays de l’Union, or quiconque se plonge dans les dispositions nationales est effaré de la complexité et de la diversité des règles,
- adapter progressivement les aides en fonction du progrès technique pour éviter la multiplication de projets non rentables et pourtant si profitables que, dans certains pays, ils servent dit-on, à aider des mafias à blanchir de l’argent,
- les énergies renouvelables (solaire et vent) étant irrégulières, étudier simultanément les évolutions conjointes de la " grille " de transfert de l’électricité et des productions de ces énergies.
Or, la collaboration en matière d’investissements dans les réseaux de transport européens à haute tension est encore dans l’enfance.
Ainsi, les incohérences nationales se conjuguent avec celles de l’Union pour offrir un paysage de désordre et de gaspillage.
Au titre des errements auxquels les gouvernements sont conduits sous l’influence des vicissitudes de leurs opinions publiques, on peut prendre l’exemple de l’Espagne, en ne cherchant nullement à stigmatiser ce pays.
Certaines gazettes se félicitent que certains jours exceptionnels, un fort pourcentage de l’électricité espagnole provienne de sources renouvelables. Pourtant Madrid accumule des décisions discutables : subvention au charbon, aide aux renouvelables à un niveau tel qu’il a fallu cesser son maintien pour lutter contre le déficit public, blocage des tarifs, de ventes d’électricité aux ménages au point qu’il a fallu titriser les dettes qui en résultent à l’égard des opérateurs électriques, absence d’une politique nucléaire. Quant aux émissions de CO2, elles ont explosé, crevant les objectifs de Kyoto et obligeant le pays à acheter de l’air chaud à l’Ukraine.
La lutte contre le changement climatique ne périme pas la cohérence. Bien au contraire, elle suppose des politiques d’investissement coordonnées et des prix représentatifs basés sur des coûts de développement prévisibles auxquels s’ajoutent l’évaluation de pénalités pour émission de gaz à effet de serre et éventuellement pour imprévisibilité de la fourniture.
Il ne suffit pas que l’Union Européenne et les Etats-membres clament à la face du monde les vertus de leur politique énergétique. Il faut qu’ils assoient cette politique sur une rationalité des prix et des coûts nécessaires à l’efficacité des actions entreprises.
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