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Le monde en danger : un déficit de leadership qui menace la planète

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Le Monde en danger : un déficit de leadership qui menace la planète
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Un extrait de ce texte a été publié dans Le Figaro du 9 novembre 2011.

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Deux petites décennies d'illusions, d'idéologie, de folies, de capitalisme effréné, de retournements, de faillites, de drames individuels et collectifs, et en définitive de mal gouvernance, ont séparé la fin de la Première Guerre mondiale et le début de la deuxième. Vingt ans. A la fin de 2011, chaque peuple commémorera à sa façon le vingtième anniversaire de la chute de l'Union soviétique. Ce sera l'occasion de réfléchir sur une séquence qui, en fait, commence avec les révolutions européennes de 1989, dominées par la chute du mur de Berlin, et s'achève symboliquement en 2008, avec la faillite de Lehmann-Brothers et l'ombre d'une nouvelle grande dépression. Du point de vue politique, au sens le plus large du terme, le vingtième siècle s'est achevé dans l'euphorie en 1989. Le vingt et unième siècle a commencé dans l'angoisse en 2008. [1] En 1989-1990, un Francis Fukuyama pouvait rêver de "la fin de l'Histoire". Aujourd'hui, on se demande si le nouveau système international n'est pas en train de se déliter et si l'on ne va pas au-devant de grands drames.

L'Europe est menacée d'éclatement. Dès la création, en 1957, de ce qu'on appelle d'abord la Communauté, les pionniers de cette aventure ont identifié le dilemme élargissement - approfondissement : jusqu'à quel point pouvait-on prendre le risque d'élargir la Communauté à des nouvelles nations, sans avoir suffisamment consolidé les bases de l'édifice ?

La question se posa d'abord autour de la Grande Bretagne, puis avec la Grèce, l'Espagne et le Portugal. Dans tous les cas on choisit l'élargissement au détriment de l'approfondissement. La tendance s'accéléra avec l'élargissement suivant, et l'on vit dans ce qu'après le traité de Maastricht de 1992 on appela Union européenne, la panacée pour résoudre les problèmes du postcommunisme. La création de l'euro fut conçue comme un antidote à la dilution, ce qui aurait pu être le cas si le syndrome de l'élargissement accéléré ne s'était pas étendu à la zone euro et surtout si les membres fondateurs eux-mêmes n'avaient pas transgressé les règles de bon sens qu'ils avaient sagement édictées. Qu'un pays comme la Grèce ait pu en arriver à ces degrés de déséquilibres sans qu'aucune autorité publique ne tire de façon audible la sonnette d'alarme illustre au mieux une déficience majeure dans la gouvernance européenne, au pire une irresponsabilité générale. Dès lors, la bulle a éclaté comme toutes les bulles, ou tous les tremblements de terre, c'est-à-dire sans signes préalables. Depuis bientôt deux ans, les efforts chaotiques entrepris pour régler les problèmes n'ont pas convaincu ces fameux marchés que l'on avait décrété "efficients" en s'appuyant sur un mélange effrayant d'intérêts particuliers et d'une fausse science, qui fût même récompensée par le prix Nobel en économie. Il y a encore quelques jours, il a suffi que l'idée d'un référendum traverse l'esprit du premier ministre grec pour bouleverser l'ordre du jour d'un G20 préparé depuis des mois, et le monde retient son souffle face aux pantalonnades d'un Silvio Berlusconi et au risque que les moutons de la finance ne lancent une "bataille décisive" contre l'Italie. A Cannes, grâce à l'énergie positive déployée par le couple franco-allemand, on a gagné un répit, mais pas la guerre. Et, comme les observateurs l'ont aussitôt souligné, la mise en question de l'intégrité de la zone euro, sinon de l'euro lui-même, n'est plus un sujet tabou. Etant donné l'euroscepticisme général, et les tendances populistes qui s'affirment ici et là, la mort de l'euro scellerait le destin de l'Europe. C'est bien pourquoi beaucoup de ceux qui, initialement, s'étaient déclarés contre l'euro, le défendent aujourd'hui.

Mais la crise de l'Europe n'est pas isolée. Pour la première fois depuis les années trente, les Américains doutent d'eux-mêmes et des vertus de leur "modèle". Les mouvements anti Wall Street reflètent une indignation sans précédent. Jamais, depuis huit décennies, on n'a vu pareille radicalisation des débats idéologiques entre Républicains et Démocrates, comme s'ils avaient perdu l'esprit de compromis qui faisait la force du système américain. En témoigne l'importance des Tea Parties. C'est l'incapacité prolongée de s'accorder sur une stratégie de réduction de la dette qui justifie la dégradation de la note souveraine de la première puissance économique mondiale. Parallèlement, le désengagement des Etats-Unis vis-à-vis de l'Europe prend une tournure concrète. On nous demande de résoudre le problème de l'euro, mais on ne propose pas de nous aider, faute de moyens. Et sur le plan politico-stratégique, le soutien américain à l'intervention de la "communauté internationale" en Libye a été mesuré et là, c'est l'Union européenne qui ne paraît pas en mesure de saisir l'occasion pour avancer résolument dans la voie d'une politique de sécurité et de défense véritablement commune. Et puisque je mentionne l'affaire libyenne, comment ne pas relever que le "printemps arabe", loin d'être vraiment perçu comme une chance dans les pays porteurs des valeurs de la démocratie et des droits de l'Homme, suscite autant d'inquiétudes que d'espoirs, comme si l'on redoutait surtout de perdre le contrôle face aux conséquences ultimes de cette nouvelle déstabilisation, à l'instar des Israéliens ou des Chrétiens d'Orient. Comment ne pas déplorer aussi, au passage, le leadership décevant du président Obama en matière internationale - auquel le Prix Nobel de la paix avait été décerné l'an dernier en quelque sorte à crédit - à l'inverse de l'extraordinaire énergie déployée par le Chef de l'Etat français.

La passe difficile que traverse actuellement le monde occidental, tant sur le plan politique qu'économique, n'est pas compensé par les pays émergents, et ne peut pas l'être. La Chine a ses difficultés intérieures et l'on tremble à l'idée qu'elle pourrait se trouver confrontée à une crise économique et sociale sérieuse. Les conséquences régionales et mondiales en seraient dramatiques. Pékin donne la priorité à ses propres affaires. Les Chinois entendent participer - au rang qui leur revient - à la gouvernance monétaire internationale, par exemple, mais leur expérience historique ne les prédispose pas au leadership mondial et ils n'ont actuellement aucune prétention dans ce domaine. Ce qui est vrai pour la Chine l'est a fortiori pour d'autres Etats comme la Russie, l'Inde ou le Brésil.

C'est dire que le déficit de leadership qui menace actuellement le monde dans son ensemble doit être prioritairement comblé par ceux-là mêmes qui ont derrière eux des siècles de pratique, c'est-à-dire les Occidentaux. Il est vrai qu'en termes de démographie ou de PIB, la part de l'Europe ne cesse de reculer. Mais ces indicateurs ne reflètent pas son poids absolu. Je n'hésite pas à prédire que, si l'Union européenne devait commencer effectivement à se déliter, la paix serait rapidement menacée en Europe même. A l'inverse, si nous parvenons à résoudre durablement une crise dont les raisons fondamentales sont claires, nous consoliderons les chances de ce que les Chinois appellent un monde plus harmonieux. Dans les mois à venir, deux leaders continueront de porter à cet égard des responsabilités historiques : Angela Merkel et Nicolas Sarkozy.

[1] Cf. T. de Montbrial. Vingt ans qui bouleversèrent le monde. De Berlin à Pékin. Dunod, 2008.

 

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Thierry DE MONTBRIAL

Thierry de MONTBRIAL

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Fondateur et Président de l'Ifri - Membre de l’Institut de France (Académie des sciences morales et politiques)

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