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Moyen-Orient : quelles perspectives ?
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Au seuil de la nouvelle année 2010, force est de constater que le Moyen-Orient reste plus que jamais une zone de fortes turbulences et de feux mal éteints.

Corps analyses

Certes, de nombreux pays connaissent la stabilité politique et un développement économique certain malgré la crise. Peu mondialisées, leurs économies sont moins vulnérables que d'autres. Les pays arabes pétroliers du Golfe continuent une politique volontariste de mise en valeur de leurs richesses en hydrocarbures, de construction d'infrastructures et de diversification de leur économie. Cette politique s'appuie sur des revenus pétroliers qui, avec le baril de pétrole à 80 $, retrouvent des niveaux fortement rémunérateurs. Elle n'est pas remise en cause par le krach immobilier de Dubaï qui était prévisible dès avant la crise. En Egypte, malgré les spéculations sur la succession du président et l'action des Frères musulmans, le pouvoir semble contrôler le mécontentement de la population. La Syrie, en pleine ouverture économique, connaît une phase de croissance réelle. Au Liban, un gouvernement d'union nationale s'est constitué après plus de cinq mois de palabres stériles, avec la bénédiction de ses deux " parrains ", la Syrie et l'Arabie saoudite. En Irak, après le surge, la violence a fortement diminué, même si plusieurs attentats spectaculaires récents rappellent, pour reprendre l'expression du général Petraeus, que les progrès sont " fragiles et réversibles ". La sécurité d'Israël, semble assurée : aucun attentat significatif n'a eu lieu depuis plusieurs années et les interventions en 2006 contre le Hezbollah et de fin 2008 contre le Hamas ont fait quasiment disparaître les incidents aux frontières. Cependant, rien n'est réglé entre Israël et les pays arabes, à part l'Egypte et la Jordanie avec lesquels une " paix froide " s'est installée en raison de l'hostilité des populations de ces pays. En raison notamment de l'évolution sur le terrain et de l'absence de volonté politique réelle, il apparaît de plus en plus évident que la solution des deux Etats est morte, et sans doute de façon irréversible. La solution de compromis dégagée par le projet d'accord consigné à Taba en janvier 2001, sur les bases des " paramètres " de Clinton, est totalement dépassée compte tenu notamment de la progression de la colonisation et de la construction du " mur de séparation ".

L'année 2009 aura vu la détérioration de la situation au Yémen, Etat déjà fragile, menacé de dislocation sous la triple pression des conflits tribaux au nord, des revendications sécessionnistes au sud et de l'influence croissante d'Al-Qaïda, qui est en passe de reconstruire un jihadistan. L'Iran pour sa part, débarrassé par l'Administration Bush de Saddam Hussein, se pose en acteur incontournable et confirme son rôle de puissance régionale par sa présence sur tous les fronts de crise du Moyen-Orient que sont l'Irak, le Liban ou les Territoires palestiniens. Son action est ressentie avec inquiétude non seulement en Israël où on y voit une " menace existentielle " mais également dans de nombreux pays arabes qui dénoncent un " arc chiite " aux ordres de Téhéran.

Dans ce contexte difficile, la politique du président Obama, brillamment exposée dans son discours du Caire le 4 juin 2009, a du mal à donner des résultats. Les Etats-Unis, ayant mal évalué la capacité du nouveau gouvernement israélien à résister, ont subi un camouflet en reculant sur la question des colonies et semblent avoir renoncé, tout comme l'Union Européenne, à exercer une quelconque pression sur le gouvernement israélien pour faire redémarrer un processus de paix moribond. Il est vrai que Benjamin Netanyahou, malgré les propos ambigus sur la création d'un Etat palestinien réduit à un bantoustan et la " suspension " de la construction des colonies, hors Jérusalem et croissance naturelle, a mobilisé ses réseaux d'influence aux Etats-Unis à un moment où, sur les dossiers de politique intérieure, le président Obama se trouvait en difficultés. Quant à l'ouverture américaine vers l'Iran, les négociations sur le contentieux nucléaire ont tourné court : il est vrai que les affrontements intérieurs à Téhéran ont conduit à des surenchères, l'opposition comme le pouvoir ne voulant pas apparaître comme compromettant " la souveraineté nucléaire " du pays.

En fait, par-delà ces situations particulières, la poursuite et la généralisation de la " somalisation " du Moyen-Orient sont d'autant plus préoccupantes que s'affirme l'influence des milices armées ou des seigneurs de la guerre qui défient ouvertement l'autorité de certains Etats faillis. Le Moyen-Orient reste ainsi au cœur de l'arc de crise qui, du Liban au Pakistan, tend à devenir le centre de gravité de toutes les turbulences qui touchent le monde musulman.

Dans un tel contexte, que peut nous apporter 2010 ? Il est permis d'espérer que les zones de stabilité ne soient pas affectées par les tensions intérieures et les turbulences pourtant proches. On peut également avoir l'espoir que les élections de mars prochain en Irak permettent de faire de nouveaux progrès vers un retour à une situation normale, une réconciliation entre chiites et sunnites, une reconstruction économique d'un pays sinistré par trente ans de guerres et de sanctions. En étant optimiste, le même espoir existe de voir le Liban, enfin doté d'un gouvernement, retrouver une vie normale, voire accomplir les réformes nécessaires.

Cependant des menaces à court terme apparaissent sur trois fronts, qui peuvent déboucher sur de nouveaux affrontements.

 

  1. Malgré ses interventions au Liban sud et à Gaza, Israël n'a pu venir à bout du Hezbollah et du Hamas. L'un et l'autre ont reconstitué et sans doute accru leur arsenal militaire et ont renforcé leur emprise sur la population : ils représentent toujours un risque pour la sécurité d'Israël. De son côté, Israël, après ces deux guerres qui n'ont pas été de francs succès ni sur le plan militaire, ni sur le plan politique, pourrait être tenté de prendre sa revanche et de régler leur compte à ces deux mouvements. L'année 2010 verra-t-elle un nouveau round d'affrontements contre le Hezbollah et/ou le Hamas ? La question se pose de part et d'autre dans les opinions publiques.
  2. L'Iran restera au cœur de l'actualité tant en raison de sa position sur la question du nucléaire que des tensions internes. Il continuera à agir en alternant fausses concessions, esquives et rhétorique agressive, ne serait-ce que pour refaire une unité nationale autour d'une politique d'affirmation de puissance régionale, à la tête du " front du refus ". Sur le plan intérieur, le pouvoir, qui bénéficie du ralliement de l'ensemble du camp conservateur, y compris des plus hostiles à Ahmadinejad comme les frères Laridjani, l'un président du Parlement, l'autre en charge de la Justice, va intensifier son action face à une opposition courageuse, mais non structurée et sans véritable leader. Plusieurs scénarios sont possibles, y compris celui d'une déstabilisation du pouvoir actuel. Des sanctions que l'on voudrait efficaces sont en cours de discussion, avec l'espoir d'obtenir un nouvel accord au niveau du Conseil de Sécurité. Elles restent problématiques compte tenu des réticences persistantes de la Russie et de la Chine : d'une efficacité limitée, elles ne seraient pas de nature à faire changer d'avis la position iranienne. Devant cette impasse, existe-il un risque que l'année 2010 soit celle d'une intervention israélienne et/ou américaine, sous forme de " frappes chirurgicales " sur les sites nucléaires iraniens ? Une telle intervention, outre les difficultés techniques et les risques d'échec, aurait un effet dévastateur dans une région particulièrement sensible. Ainsi tout le monde la redoute mais certains s'y emploient. En toute hypothèse, selon l'expression utilisée par l'administration Bush et reprise récemment encore par l'Amiral Mullen, chef d'état-major américain, " l'option reste sur la table ". Il ne faut pas exclure que la conjonction des extrêmes, éléments néo-conservateurs aux Etats-Unis, faucons israéliens et les éléments les plus radicaux en Iran, y conduise irrésistiblement, chacun y trouvant un intérêt. Quoi qu'il en soit, sanctions ou interventions militaires ne peuvent qu'affaiblir une opposition réformiste qui ne voudra pas apparaître, dans un pays au nationalisme aussi ombrageux qu'est l'Iran, comme complice d'actions étrangères hostiles.
  3. Enfin, les groupes terroristes, même si Al-Qaïda " central " est affaibli, restent présents dans la région. Le " modèle " défini par Ben Laden fonctionne encore en Irak, comme au Yémen, en Afghanistan et au Pakistan. Ces groupes trouvent dans les Etats faillis, notamment en Somalie, au Yémen ou aux confins afghano-pakistanais, des bases pour s'entraîner et se replier. De nouveaux jihadistans à partir desquels ces groupes, ayant fait acte d'allégeance ou non à Ben Laden, peuvent développer une capacité de nuisance, faible en termes militaires mais très déstabilisante en termes politiques.
  4. Il reste enfin la question palestinienne : il y a sans doute peu à attendre en 2010, malgré les efforts diplomatiques attendus de la part des Etats-Unis ou de l'Europe. Dans l'immédiat, Israël continuera, avec succès sans doute, malgré une réprobation de plus en plus forte des opinions publiques et des ONG, à gérer un conflit de basse intensité dont le traitement n'est plus jugé prioritaire du côté occidental, davantage préoccupé par les événements en Iran, en Afghanistan ou au Pakistan. Sur le long terme, on voit mal comment un Etat qui se veut démocratique puisse continuer à occuper les Territoires palestiniens indéfiniment sans donner à leur population l'Etat qu'elle revendique : la question palestinienne est une bombe à retardement qui peut compromettre les intérêts et la sécurité d'Israël, comme ceux de l'Occident dans le monde musulman

Ces anticipations ne demandent qu'à être démenties. Dans ce Moyen-Orient où la seule certitude est l'incertain, l'année 2010 risque d'être une année de fortes turbulences, voire de nouveaux affrontements, lourds de menaces, lorsqu'elles se conjugueront avec celles qui peuvent apparaître sur le front de l'AFPAK.

 

 

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Denis BAUCHARD

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Conseiller, Programme Turquie/Moyen-Orient de l'Ifri

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Mosquée Süleymaniye, Istanbul, Turquie
Programme Turquie/Moyen-Orient
Accroche centre

Le programme Turquie/Moyen-Orient de l’Ifri fournit une expertise sur l’évolution des systèmes politiques, des sociétés et des économies de la région. Il se focalise d’une part sur les évolutions en Turquie et au Levant (influences turque et iranienne, risque de morcellement des États de la région, recompositions diplomatiques), et également au Maghreb (insertion du Maghreb dans les circuits mondiaux, relations politiques et économiques avec l’Europe et avec l’Afrique sub-saharienne…).

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