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Union de l'Énergie : le paquet "Énergie propre" à mi-parcours

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Le 30 novembre 2016, la Commission européenne déposait un ensemble considérable de propositions, le paquet « Énergie propre », visant à restructurer profondément le secteur de l’énergie en Europe, et tout particulièrement le secteur de l’électricité. Les dispositions préconisées sont regroupées en huit sous-ensembles, visant d’une part à faire progresser l’efficacité énergétique et la place des énergies renouvelables, d’autre part à étendre l’emprise du marché et à faciliter les échanges transfrontaliers pour l’électricité.

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Le Commissaire européen Miguel Arias Cañete montre le paquet "Energie propre" lors de sa conférence de presse à Bruxelles.
Le Commissaire européen Miguel Arias Cañete montre le paquet "Energie propre" lors de sa conférence de presse à Bruxelles.
Commission européenne
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L’initiative de la Commission a frappé par sa hardiesse ; elle aborde un dossier qui intéresse tous les citoyens et peut incontestablement devenir un projet fédérateur. Cependant, il est très vite apparu que la technicité des textes rendait son appropriation difficile tandis que certaines des dispositions préconisées soulevaient des interrogations sur leurs conséquences. Un an plus tard, force est de constater que les débats entre les eurodéputés d’un côté et les représentants des États de l’autre ont surtout mis en exergue plusieurs points saillants sans vraiment donner une vue d’ensemble de notre avenir énergétique.

Interactions

Cette absence de vision synthétique perturbe, car les textes sont fortement imbriqués entre eux. Par exemple si l’on vise une part élevée d’électricité de sources intermittentes, éolienne ou solaire, il convient à la fois de faciliter leur accès au marché et de renforcer les mesures concernant la continuité d’alimentation, pour remédier au caractère imprévisible de leur disponibilité. En accompagnement à ses propositions, la Commission européenne avait diffusé des études d’impact, qui tentaient d’éclairer les corrélations, mais la complexité des modèles employés et l’imprécision des hypothèses retenues ne permettaient guère de dégager de conclusion précise. En cette fin 2017, le brouillard s’est encore épaissi. La nature même du travail législatif conduit à examiner séparément chaque texte, et malgré le sérieux du travail accompli dans les commissions parlementaires ou les groupes de travail du Conseil, on arrête souvent une décision avant de connaître celle de l’instance voisine. Peut-on espérer que de nouvelles simulations éclairent, autant que possible, sur les conséquences de l’ensemble des options adoptées en première lecture, avant le vote final ?

De telles simulations gagneraient en clarté si elles prenaient en compte certaines décisions parallèles. Ainsi, alors que le paquet est présenté comme l’outil indispensable au respect des engagements pris par l’Union européenne (UE) dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat, les textes relatifs aux émissions de gaz à effet de serre n’y sont pas inclus. Il s’agit en premier lieu de la réforme du système ETS sur les quotas d’émission, adoptée en novembre 2017 ; en second lieu du plafond à respecter par chaque État d’ici 2030 pour ses émissions non couvertes par le système ETS (telles que celles des combustibles à usage domestique) ; et en dernier lieu de la gestion des stocks naturels de carbone dans les sols et les forêts (conditionnant le recours à la biomasse comme énergie renouvelable). En traitant isolément ces domaines, on ignore leur interaction avec le paquet « Énergie propre ». Il en va de même au sujet de la cible, pour l’heure informelle, que la Commission européenne a recommandée en novembre 2017 à propos des interconnexions : elle pourrait se traduire par des investissements extrêmement onéreux alors que les futures obligations en efficacité énergétique en réduiraient la nécessité.

Des objectifs très élevés

Un motif de perplexité plus profond tient au niveau des objectifs pour 2030. Le travail de modélisation effectué par la Commission européenne a pris pour référence un niveau de 27 % d’énergies renouvelables dans la consommation de 2030. Ce niveau étant fixé, on a recherché l’optimum pour l’objectif relatif en matière d’efficacité énergétique, et on a arrêté 30 %. En commission parlementaire, les députés ont voté un objectif de 40 % sans égard pour l’étude d’impact de novembre 2016 qui mentionnait pour ce taux un surcoût d’environ 125 milliards d’euros par an jusqu’en 2030, et un effondrement du prix du quota de CO2, condamnant vraisemblablement tout le système ETS, sans bénéfice sur le prix de l’électricité[i]. Cette étude ne donnait aucune indication sur ce qu’il adviendrait si on portait à la fois l’objectif « efficacité énergétique » à 40 % et l’objectif « énergie renouvelable » à 35 % ; le manque de visibilité n’a pas empêché l’adoption de ces deux chiffres par la commission parlementaire.

Il est intéressant de prendre en compte l’argument invoqué pour justifier le relèvement du second objectif : le coût de production de l’électricité de source éolienne et photovoltaïque diminue beaucoup plus vite que prévu. La baisse est indéniable, mais le coût complet de l’électricité livrée ne se limite pas à la production : il faut y ajouter les frais de réseau et/ou de stockage. Les énergies éolienne et solaire appellent en général des renforcements des lignes électriques, qui ont provoqué une augmentation de 3,3 % par an pour la composante « acheminement » de la facture moyenne des particuliers, entre 2008 et 2015[ii]. Notons par ailleurs que l’on n’a enregistré aucune baisse spectaculaire des coûts pour l’isolation des bâtiments qui justifie le relèvement de l’objectif dédié à l’efficacité énergétique.

Il n’entre nulle volonté ici de reprocher aux élus leur ambition pour la place de l’UE dans la lutte contre le changement climatique, mais la crainte que les nouvelles exigences entraînent des sacrifices jugés excessifs par une partie croissante de la population, aboutissant à l’élection d’émules de Donald Trump sur le sol européen.

Dimension sociale

Les conséquences sociales du paquet « Énergie propre » semblent pourtant présentes à l’esprit des législateurs, mais de manière inégale. Une commission parlementaire voudrait ainsi contraindre les États à élaborer des plans de lutte contre la précarité énergétique, qui touche près d’un Européen sur dix. Ce type de préoccupation n’existait pas auparavant. Cette même commission recommande cependant que les autoproducteurs soient exonérés de toutes taxes et charges pour l’électricité d’origine renouvelable qui sera autoconsommée. Une telle mesure paraît injuste car l’autoproduction suppose une capacité d’épargne et un logement adapté (le plus souvent en maison individuelle) inaccessibles aux clients peu aisés, qui supporteraient alors seuls les charges destinées à promouvoir l’électricité de source renouvelable et les tarifs sociaux, habituellement répartis sur tous les consommateurs…

Sur ce plan social, les États ont affiché une grande détermination à défendre une liberté comportant une forte charge symbolique, celle de fixer des tarifs réglementés de vente. Ces tarifs garantissent en principe aux petits consommateurs l’accès à l’énergie à un prix raisonnable, en plafonnant les profits des fournisseurs. La Commission européenne s’y oppose avec une détermination tout aussi farouche, estimant que les prix fixés par décret faussent la concurrence et font obstacle à la créativité des fournisseurs pour proposer des tarifs mieux adaptés.

En revanche, la Commission européenne a perçu le risque social lié aux conséquences du paquet « Énergie propre », susceptible d’aboutir à la fermeture d’environ 25 % du parc de production conventionnelle d’électricité et de toucher durement les régions minières. Outre un accès aux fonds structurels destinés à faciliter les reconversions, l’exécutif européen a mobilisé trois commissaires pour lancer le 11 décembre 2017 une plate-forme spécialement orientée vers l’appui aux régions charbonnières et à haute empreinte en carbone qui s’engagent dans la transition énergétique. Saluons cette initiative et souhaitons-lui plein succès, mais regrettons qu’elle ne s’étende pas aux régions touchées par les fermetures à venir de centrales nucléaires…

Les États en position défensive

Le plaidoyer en faveur des tarifs réglementés de vente pourrait gagner un soutien populaire aux États, qui vont devoir se battre sur deux fronts : face aux députés sur les objectifs et face à la Commission européenne sur la sécurité d’approvisionnement. On a vu que les eurodéputés demandent des objectifs élevés, mais il faut aussi souligner qu’ils n’entendent guère laisser de latitude aux gouvernements sur le chemin à suivre. Selon leurs conclusions, les États seraient tenus de respecter une trajectoire linéaire pour chaque objectif, avec un point de contrôle tous les deux ans. Cette contrainte équivaut exactement à celle dont les gouvernements ont souhaité s’affranchir depuis plusieurs années : les tractations entre le Parlement et le Conseil s’annoncent serrées.

Les négociations seront plus dures encore avec la Commission européenne au sujet des « mécanismes de capacité » mis en place par la plupart des États. Cette expression recouvre une gamme de dispositifs visant à rémunérer des centrales électriques dont le maintien en service est jugé indispensable à la sécurité d’approvisionnement mais qui ne fonctionnent pas suffisamment pour être rentables par la seule vente du courant produit. La Commission européenne soupçonne ces dispositifs de procurer une subvention déguisée à des ouvrages vétustes. Elle demande un droit de regard sur l’appréciation du besoin et, lorsqu’il est confirmé, l’ouverture de ces mécanismes aux centrales des pays voisins. Elle préconise d’en limiter l’accès aux centrales peu émettrices de CO2 (moins de 550 gCO2/kWh) et d’en restreindre la durée à quelques années. Faute d’accord, la Commission européenne laisse planer la menace d’user de ses droits exclusifs en matière de concurrence pour interdire ces dispositifs. La position des eurodéputés ne sera connue qu’au début 2018 ; son orientation pèsera dans le « trilogue » qui réunira les représentants des trois institutions pour parvenir à des textes définitifs.

Entre enthousiasme et inquiétude

Les coureurs de fond ne marquent jamais de pause pendant l’épreuve ; on ne verra donc pas de trêve durant le marathon législatif que constitue l’adoption du paquet « Énergie propre » au sein des institutions européennes. Quelques jours seulement sépareront le dernier Conseil des 28 ministres de l’Énergie, le 18 décembre 2017, de la reprise des travaux au Parlement européen, le 11 janvier 2018, mais il faudra attendre de longs mois pour que se lève l’incertitude qui entoure encore plusieurs dispositions majeures de ces textes. Une seule conviction se dessine : quelle que soit sa rédaction finale, le projet fera autant d’enthousiastes que d’inquiets.


1. Commission européenne, « Impact Assessment SWD (2016)-405 », 6 décembre 2016, p. 113.

2. Commission européenne, « Energy Prices & Costs SWD (2016)-420 », 30 novembre 2016, p. 5.

 

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Contenu disponible en :

ISBN / ISSN

978-2-36567-806-3

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Michel CRUCIANI

Intitulé du poste

Ancien chercheur associé, Centre Énergie & Climat de l'Ifri

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Énergie et Climat
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Le Centre énergie et climat de l’Ifri mène des activités et recherches sur les enjeux géopolitiques et géoéconomiques des transitions énergétiques. Il travaille à la fois sur les enjeux de sécurité énergétique, de compétitivité, de maîtrise des chaînes de valeur, et d'acceptabilité. Spécialisé dans l’étude des politiques européennes de l’énergie et du climat, et des marchés de l’énergie en Europe et dans le monde, ses travaux portent aussi sur les stratégies énergétiques et climatiques des grandes puissances comme les Etats-Unis, la Chine ou l’Inde. Il offre une expertise reconnue, enrichie de collaborations internationales et d'événements à Paris et à Bruxelles, notamment.

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