Géopolitique des forêts du monde : quelles stratégies de lutte contre la déforestation ?
En dehors des pays tempérés et boréaux, la déforestation se poursuit à un rythme inquiétant. Elle est causée par la course au foncier, sous-tendue par l’accroissement démographique et la hausse de la demande mondiale pour certains produits « à risque de déforestation ». Avec les changements climatiques, les mégafeux font en outre peser des menaces inédites sur les forêts.
La Chine exerce une influence majeure sur l’évolution des forêts du monde à travers son commerce et ses investissements dans les infrastructures des Nouvelles routes de la soie. Le pays a stoppé l’exploitation de ses forêts naturelles mais il mise sur les importations pour combler ses immenses besoins en bois et voit aussi croître sa demande de produits agricoles à risque de déforestation, comme le soja ou l’huile de palme. En Afrique et en Asie du Sud-Est, les grandes entreprises forestières européennes reculent face à des entreprises asiatiques (Malaisie, Chine et Vietnam) et les firmes d’agroalimentaire gagnent partout en influence.
Les grandes opérations de reboisement sont, au mieux, d’une efficacité limitée lorsqu’elles ne s’accompagnent pas de la reconnaissance des droits fonciers et qu’elles visent des plantations en monoculture avec des essences à croissance rapide. Les certifications indépendantes s’affirment en revanche comme des instruments incontournables dans la gestion des forêts et la garantie de productions zéro déforestation. Enfin, un mécanisme onusien, REDD+, rémunère les pays qui réduisent les émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts, ou accroissent leurs stocks de carbone par des plantations. Il est critiqué car il s’appuie sur des scénarios de référence, trajectoires anticipées d’émissions présentées par les pays eux-mêmes. De plus, il bute toujours sur le problème de la « non-permanence » du stockage du carbone dans des forêts ou des plantations susceptibles de brûler ou de dépérir.
En parallèle, le souci croissant des entreprises de compenser une partie de leurs émissions a suscité une forte demande pour des crédits carbone issus de projets forestiers. Des centaines de « projets REDD+ » ont vu le jour, s’appuyant sur des certifications spécifiques pour soutenir l’émission de crédits carbone sur des « marchés volontaires ». Outre le risque de double comptage des réductions d’émissions avec le niveau national, l’additionnalité incertaine et les risques de « fuites » (déplacement des pressions de la déforestation ailleurs) jettent le doute sur l’intégrité environnementale de ces initiatives privées. Enfin, le succès des « projets REDD+ » reste conditionné à la prise en compte des problèmes de la sécurité foncière des ruraux, facteur clé du reboisement, et de leur accès à la terre.
L’empilement des consensus institutionalisés se poursuit alors qu’il y a au contraire un besoin urgent de reconsidérer les instruments existants, en prenant en compte les dimensions systémiques et d’économie politique trop souvent ignorées. La 15e réunion de la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (COP15) prévue en Chine en octobre 2021 doit participer au nécessaire sursaut dans la gouvernance mondiale des forêts :
- Le principe des « paiements aux résultats » devrait être complété par un soutien de grande ampleur aux investissements nécessaires à la « fabrication » de ces résultats, et ne retenir que la cohérence des politiques publiques qui ont potentiellement des impacts sur les forêts, comme critère essentiel de l’évaluation des résultats.
- La demande en produits impliqués dans la déforestation doit être strictement maîtrisée. Les États doivent revoir les accords commerciaux les liant aux pays qui encouragent la conversion des terres boisées, et inclure des clauses juridiquement opposables de lutte contre la déforestation. L’importation de produits impliqués dans de la déforestation illégale doit être bannie, et les tarifs douaniers doivent favoriser les produits certifiés zéro déforestation.
- Il convient d’aider les pays en développement à mettre en œuvre une fiscalité écologique incitative pour favoriser les productions agricoles zéro déforestation et forestières durables. Des systèmes de bonus-malus, budgétairement neutres, pourraient favoriser les productions tracées et certifiées, et pénaliser les productions d’origine incertaine et vraisemblablement non durables.
- Un agenda commun pour la sécurité alimentaire, la lutte contre la déforestation et la restauration des écosystèmes naturels dégradés est à construire avec les pays en développement. Une intensification écologique passant par l’agroécologie paysanne, les associations cultures-élevage et l’agroforesterie devrait devenir la priorité. L’investissement nécessaire pourrait transiter par des programmes de paiements pour services environnementaux (PSE).
Enfin, le régime des concessions forestières doit évoluer pour intégrer la reconnaissance de droits superposés, la gestion commerciale de nouvelles ressources et le partage des bénéfices.
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