Entre ambitions industrielles et contribution à l'OTAN, les défis de la European Sky Shield Initiative
La guerre en Ukraine et la reconnaissance de la Russie comme principale menace pour la sécurité européenne poussent les Alliés à réinvestir dans leur défense sol-air et antibalistique.
La European Sky Shield Initiative (ESSI), annoncée par le chancelier Scholz en août 2022 puis lancée en octobre de la même année, vise à renforcer cette défense en comblant les lacunes capacitaires des pays européens par l’acquisition, l’utilisation et la maintenance communes de systèmes de défense sol-air.
Au-delà de cet affichage sécuritaire, l’ESSI comprend de nombreux autres objectifs. Sur le plan politique, elle incarne la Zeitenwende, ce « changement d’époque » qui s’illustre par le soutien à l’Ukraine, le renforcement de la défense collective de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et des investissements massifs dans la défense nationale, mais aussi l’affirmation par Berlin de son rôle de leader du pilier européen de l’Alliance. En effet, l’ESSI regroupe désormais 21 membres sur le territoire européen, avec certes des absents marquants, notamment la France et l’Italie.
Ces derniers s’opposent aussi à la vocation industrielle majeure de l’ESSI, qui privilégie certains systèmes non européens comme le Patriot américain et l’Arrow-3 américano-israélien alors que des solutions européennes existent ou sont en développement : des choix jugés peu compatibles avec l’objectif de souveraineté européenne prôné par Paris.
Cependant, la critique principale de l’ESSI repose sur son absence de prise en compte de ses impacts stratégiques. Si le sous-entendu de sa mise en œuvre est de pouvoir contrer des menaces balistiques conventionnelles russes – ce qui n’est actuellement pas l’objectif de la défense antimissile otanienne –, les systèmes choisis sont mal adaptés étant donné que les capacités actuelles d’Arrow-3 sont limitées et coûteuses. De plus, même si ces systèmes paraissent inadaptés face à cette menace, l’intention d’interception est jugée susceptible de remettre en cause les équilibres stratégiques et dissuasifs vis-à-vis de la Russie prônés par l’OTAN depuis plusieurs décennies. Enfin, ses conséquences sur le mix otanien entre frappes dans la profondeur, défense antimissile et dissuasion nucléaire apparaissent pour le moment sous-évaluées.
Ainsi, deux ans après son lancement, de nombreux défis demeurent quant à la pérennité de l’ESSI. Sur le plan politique, l’absence d’acteurs majeurs reste dommageable. Si la Pologne semble sur la voie de l’intégration, la France et l’Italie en sont plus éloignées : l’approche industrielle de l’ESSI, demeure un point de blocage pour ces deux pays. Au niveau militaire, si le besoin opérationnel est bien identifié par l’OTAN, il est nécessaire de séquencer et de prioriser les objectifs capacitaires assignés aux alliés dans le cadre du processus de planification de défense de l’OTAN (NATO Defence Planning Process, NDPP) afin d’assurer une cohérence d’ensemble au sein de l’Alliance. La multiplication des systèmes pose également le défi de l’interopérabilité, tant entre les systèmes eux-mêmes qu’entre les opérateurs, tandis que leur coût élevé interroge la soutenabilité économique du projet. Il est donc d’ores et déjà nécessaire de proposer des compléments à ces évolutions stratégiques de la défense européenne au sein de l’OTAN, par exemple au travers d’une réflexion commune sur les frappes dans la profondeur.
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