Ballon espion abattu par les Etats-Unis : "L’escalade n’est pas dans l’intérêt de la Chine"
Service minimum pour la diplomatie chinoise qui a accusé les Etats-Unis d’avoir surréagi en descendant son ballon météo repéré au-dessus du territoire américain. Chercheur à l’Ifri, Marc Julienne décrypte les enjeux pour la Chine, actuellement en situation délicate.
Comment interpréter la réaction chinoise à la destruction de son "ballon météo" considéré comme "espion" par les Américains ?
La Chine a eu une position que l’on ne voit pas assez souvent. Ils ont regretté que leur ballon soit arrivé jusqu’au-dessus du territoire américain. Ils ont dit que ce n’était pas volontaire et que c’était un ballon civil. C’est quand même eux qui sont pris en défaut. Du coup, il n’y a pas vraiment eu d’escalade verbale de leur côté.
La Chine a quand même dit qu’elle se réservait le droit de prévoir des représailles…
C’est le langage diplomatique habituel. Ces représailles pourraient être dans le domaine économique. Mais la Chine n’a pas une très grande marge de manœuvre. Elle est déjà en situation de vulnérabilité par rapport aux Etats-Unis qui ont imposé des mesures de contrôles d’exportation sur les semi-conducteurs vers la Chine, en octobre dernier. C’est une mesure extrêmement forte car la Chine est très en retard dans la production de ces semi-conducteurs. En gros, ils dépendent de Taiwan qui produit des semi-conducteurs grâce à certaines technologies américaines. Et Taiwan se trouve aujourd’hui dans l’impossibilité de les vendre à la Chine. Et ça, c’est vraiment le talon d’Achille de la Chine qui, déjà, est vulnérable sur le plan intérieur puisque l’économie ralentit très fortement et trop rapidement. Il y a aussi la chute démographique, un problème d’emploi, la sortie de la crise sanitaire qui s’est faite de manière extrêmement précipitée et complètement chaotique, avec sans doute des millions de morts.
N’est-ce pas cette dépendance à Taiwan qui peut entraîner un conflit armé, plutôt ?
Le risque existe, oui. Il est même important. C’est pour ça que la Chine aurait tort d’avoir un discours véhément, voire de lancer des représailles fortes contre les Etats-Unis. Ce ballon était quand même sur l’espace de souveraineté des Etats-Unis alors que les Chinois sont les premiers à revendiquer la souveraineté comme une valeur cardinale en relations internationales. Il y a d’autres sujets qui sont beaucoup plus risqués, beaucoup plus volatiles, comme le détroit de Taiwan. Sur ce sujet-là, oui, la Chine pourrait pour le coup répondre de manière très véhémente.
Est-ce pour prévenir une telle hypothèse que les Etats-Unis ont d'une certaine manière montré les muscles en abattant ce ballon dont on ne sait pas finalement s'il était un ballon espion ou un ballon météo?
Comme je l'ai dit, sur cette affaire de ballon, l'escalade il n'y en a pas vraiment du côté chinois. Par contre, côté américain, l'administration Biden se retrouve dans une situation délicate. D'un côté, ils doivent gérer une crise internationale bilatérale avec la Chine, leur premier adversaire mondial. De l'autre, il y a une crise politique intérieure que Joe Biden doit aussi gérer. La réponse des Etats-Unis a été d'abattre ce ballon au-dessus de l'Atlantique. Mais les républicains lui tapent dessus à bras raccourcis en disant qu'il n'a pas pris les bonnes décisions, qu'il ne montre pas un comportement responsable pour un président des Etats-Unis en laissant un système espion survoler les Etats-Unis et qu'il aurait fallu l'abattre dès le début.
Pardon de vous interrompre, mais on a appris ce week-end que des ballons chinois avaient aussi survolé les Etats-Unis pendant la présidence Trump et qu'il n'avait rien fait à l'époque.
Vous avez raison. Les républicains accusent les démocrates d'être trop faibles vis-à-vis de la Chine. Et les démocrates répondent que, déjà sous Trump, il y a eu des cas comme ça. Des cas qui, non seulement n'ont pas été rendus publics mais dans lesquels, en plus, les ballons n'ont pas été abattus. Une petite nuance, ce ne sont pas des ballons qui ont traversé le territoire continental américain. Ils se sont rapprochés d'îles comme Guam ou Haiwai. Quoi qu'il en soit, aux Etats-Unis, il s'agissait de montrer sa fermeté face à la Chine. Car cette affaire a montré un des problèmes structurels des autorités chinoises, leur problème de transparence, leur opacité fondamentale. Et ça, ça se retrouve aussi sur un plan scientifique. Si on fait circuler des ballons autour de la Terre, à un moment ils vont bien passer au-dessus des Etats. Ce serait plus courtois de prévenir les Etats en question. Cela me semble quand même un principe de base. D'autant plus que même à 20 km, même à 50 km, on reste sur l'espace de souveraineté des Etats-Unis. C'est pour ça que, côté Chinois, je vois les mal aller dans une surenchère, dans une escalade qui ne serait pas dans leurs intérêts. En plus, dans le contexte, ce ne serait pas le bienvenu de leur part.
>> Entretien à retrouver sur le site de La Dépêche.
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