Berlin rallie quatorze pays de l’OTAN à l’achat d’un bouclier antimissile, au grand dam de Paris
La France est restée à l’écart du projet, composé de systèmes allemands, américains et possiblement israéliens, car elle développe son propre bouclier avec l’Italie.
C’est un des nouveaux impacts de la guerre en Ukraine sur l’industrie de défense européenne. A l’occasion de la réunion des ministres de la défense de l’OTAN, à Bruxelles, jeudi 13 octobre, quatorze pays emmenés par l’Allemagne ont annoncé avoir trouvé un accord au sujet de l’acquisition commune d’un bouclier antimissile. Un bouclier composé de systèmes à la fois allemands, américains et possiblement israéliens, au grand dam de la France, fervente défenseuse de l’idée de « souveraineté européenne », et volontairement restée à l’écart de ce projet.
Négocié depuis plusieurs mois par le chancelier allemand, Olaf Scholz, ce projet, baptisé « Bouclier du ciel européen », rallie le Royaume-Uni, la Belgique, les Pays-Bas, mais aussi la Norvège et la Finlande, ainsi que de nombreux pays du flanc est de l’Europe : la Bulgarie, la Roumanie, la République tchèque, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovaquie, la Slovénie, et même la Hongrie. Il a été formalisé, jeudi, par la transmission d’une « lettre d’intention » à l’OTAN.
Cette lettre n’est que l’amorce d’un processus. Le coût global de ce bouclier, sans doute prohibitif, n’est pas connu. L’empressement de l’Allemagne à moderniser de façon très pragmatique son outil de défense laisse toutefois penser que ce projet ne devrait pas s’enliser.
« Avec son nouveau fonds, annoncé dès février, de 100 milliards d’euros pour réarmer la Bundeswehr, Berlin a de quoi tripler chaque année son budget d’acquisition », rappelle Amélie Férey, chercheuse à l’Institut français des relations internationales (IFRI).
Ce projet de bouclier antimissile vise à former une sorte de « bulle multicouche », afin de protéger les pays européens concernés des attaques de missiles de différentes portées comme de certains drones ou hélicoptères. Ce « bouclier du ciel » devrait notamment passer par l’achat de systèmes IRIS-T d’une portée d’une trentaine de kilomètres, développés par l’entreprise allemande Diehl BGT Defence, et de systèmes Patriot, fabriqués par l’américain Raytheon, pouvant, eux, assurer une protection jusqu’à 200 kilomètres.
Décrochages entre les intérêts allemands et français
Cette architecture pourrait aussi être complétée par l’Arrow 3, selon la presse allemande, même si aucune confirmation officielle n’a eu lieu à ce jour. Fabriqué par Israel Aerospace Industries (IAI), ce système est surnommé le « Dôme de fer ». Il a notamment été conçu pour détruire les missiles supersoniques à très haute altitude, tels que des missiles balistiques intercontinentaux. A plusieurs reprises, ces derniers mois, M. Scholz a ouvertement marqué son intérêt pour ce système sophistiqué qui permet potentiellement d’assurer une bulle de 2 400 kilomètres de rayon.
Le projet de « bouclier du ciel » allemand a suscité des commentaires enthousiastes, jeudi, du secrétaire général adjoint de l’OTAN, Mircea Geoana. « Les nouveaux moyens, totalement interopérables et intégrés de façon transparente dans la défense aérienne et antimissile de l’OTAN, renforceront considérablement notre capacité à défendre l’Alliance contre toutes les menaces aériennes et antimissiles », a-t-il notamment déclaré. « Cet engagement est encore plus crucial aujourd’hui, alors que nous assistons aux attaques de missiles impitoyables de la Russie en Ukraine », a-t-il ajouté.
Côté français, en revanche, le coup est rude. « Attention à ne pas relancer la course aux armements », commentait-on avec irritation, jeudi soir, à l’Elysée. Au-delà des considérations de souveraineté européenne, la France n’a pas souhaité se greffer sur l’initiative de Berlin, car elle développe, depuis 2021, avec l’Italie, une nouvelle version de son système de défense aérienne sol-air de moyenne portée, dit SAMP/T, aussi connu sous le nom de « Mamba » ; d’une portée de 120 kilomètres, un de ces systèmes est actuellement positionné en Roumanie sur les rives de la mer Noire.
Ce projet de bouclier antimissile allemand vient ainsi s’ajouter à une liste de plus en plus longue de divergences entre les intérêts allemands et français en matière d’industrie de défense liés à la guerre en Ukraine. En juin, l’Allemagne avait, par exemple, décidé de ne pas perdre de temps pour le lancement d’un de ses satellites d’observation militaire. Face aux retards du lanceur Ariane-6, elle avait préféré opter pour l’entreprise américaine SpaceX. En mars, Berlin avait aussi décidé d’acheter trente-cinq avions de combat F-35 à l’américain Lockheed Martin, afin de remplacer partiellement sa flotte vieillissante de Tornado.
> Lire l'article sur Le Monde.
Média
Partager