De la compétition spatiale
Notre dépendance à l'espace exo-atmosphérique ne cesse de s'accentuer. Sans le savoir, nous recourons trente-six fois par jour à un satellite. On compte plus de deux mille satellites actifs, chiffre appelé à croître significativement au cours de la prochaine décennie.
SpaceX d'Elon Musk excelle en communication pour annoncer l'avènement d'une nouvelle phase de l'humanité grâce à l'exploitation spatiale. À titre d'exemple, il annonce un projet de constellation de 42 000 satellites destinés aux télécommunications pour couvrir l'ensemble de la planète. Les technologies issues de ce que l'on appelle communément le New Space ouvrent le champ à de multiples opportunités, mais créent inévitablement de nouvelles menaces. En particulier pour les Européens, qui disposent pourtant d'atouts significatifs patiemment constitués. Dans ce domaine, la maîtrise du récit est essentielle car elle impose les hiérarchies et façonne les imaginaires. En 1960, John F. Kennedy présentait l'espace comme une « nouvelle frontière ». Aujourd'hui, c'est un « nouveau front » sur lequel les acteurs privés jouent un rôle clé, aux côtés des États.
L'utilisation de l'espace exo-atmosphérique repose sur un cadre juridique spécifique garantissant la liberté d'exploration et d'utilisation. Cependant, la Stratégie spatiale de défense, rendue publique l'année dernière par Florence Parly, la ministre des Armées, constate que « notre liberté d'accès et d'action dans l'espace pourrait pourtant être compromise » sous le double effet de l'irruption du New Space et de la compétition des puissances. L'enjeu principal réside dans l'accès autonome à l'espace « indispensable à notre autonomie stratégique ». Le modèle spatial français se conçoit dans un cadre européen, appelé à être redessiné par les nouvelles formes de concurrence. La filière Ariane représente une réussite remarquable pour l'Europe : son avenir dépend d'Ariane 6, dont le premier tir doit intervenir avant la fin de l'année. Créé en 2014, ArianeGroup illustre la capacité d'adaptation industrielle des Européens, qui doivent être convaincus de l'absolue nécessité de disposer de lanceurs en propre même si le marché demeure, pour l'heure, encore incertain.
Avec ArianeGroup, la France peut maintenir un modèle dual indispensable à la crédibilité de la dissuasion nucléaire, non seulement avec la production des différentes versions du missile M51 mais aussi, plus récemment, avec des systèmes, sans cesse améliorés, de connaissance de l'environnement spatial. Ces derniers lui permettent une surveillance des tirs balistiques à travers le monde, ainsi que du trafic satellitaire. Le développement des armes hypersoniques et hypermanœuvrantes est susceptible de remettre en cause la grammaire nucléaire. La Chine et la Russie accélèrent leurs programmes respectifs, tout en laissant planer une ambiguïté sur les types de charge qui pourraient armer ces vecteurs. La Chine est aujourd'hui le pays qui procède au plus grand nombre annuel de tirs balistiques dans le monde. La Russie, quant à elle, profite de la taille de son territoire pour tester des armes de longue portée. Les États-Unis ne sont évidemment pas en reste. Depuis 2018, ils investissent massivement sur ces systèmes d'armes et font de leur politique spatiale la clé de voûte de leur suprématie militaire.
La surveillance de l'environnement spatial a aussi permis à ArianeGroup d'alerter les autorités publiques sur la multiplication des incidents satellitaires. En 2007, la Chine a effectué un tir pour détruire un de ses satellites annonçant les opérations spatiales qui pourraient survenir en cas de conflit. Elle a été suivie par les États-Unis et l'Inde. À plusieurs reprises, des satellites européens, en charge par exemple des communications militaires, ont été espionnés en orbite. Cette « arsenalisation » a conduit les autorités françaises à étendre les missions de l'armée de l'air à l'espace, dans une double logique défensive et offensive.
L'Union européenne semble avoir pris conscience de la nécessité de sa politique spatiale en envisageant d'y consacrer seize milliards dans son prochain budget, qui couvre l'accès à l'espace, l'exploration, la compétitivité industrielle, les sciences, la sûreté et la sécurité. Compliquée et éclatée, la gouvernance spatiale européenne fragilise les Européens par rapport aux Américains, Chinois, Russes mais aussi Japonais, Indiens ou Israéliens. Il est urgent de la renforcer, en lien avec les acteurs industriels sans lesquels aucune autonomie stratégique ne sera possible.
> Voir l'article sur le site de la revue Études
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