De l'Algérie à l’Ukraine, la guerre psychologique
La guerre en Ukraine a rappelé l’importance des champs informationnel et psychologique dans les conflits armés. Jadis “experte” en la matière, l’armée française tente de combler son retard et d’élaborer une doctrine en la matière. Retour sur son histoire depuis la guerre d’Algérie.
La suspension par Facebook à la fin de l’année 2020 de plusieurs faux profils diffusant de la propagande pour le compte de l’armée française en Afrique a révélé sinon l’amateurisme au moins les carences de l’institution en la matière.
- Experte de la guerre psychologique pendant les guerres d’Indochine et d’Algérie, comme le rappelle Elie Tenenbaum en évoquant la doctrine française en matière d'Action et de Guerre psychologiques développer par l’armée française à l’époque des décolonisations : “Elle porte sur l'emploi de l'arme psychologique, l'arme psychologique étant l'une des manières de pacifier un territoire, il s'agit donc d'un retournement assez radical de doctrine. L'armée est avant tout faite pour tuer, pour détruire l'adversaire, et là, on renverse complètement la posture. Car, tuer l'ennemi*,** ce n’est pas gagner la guerre. Gagner la guerre, c’est gagner la paix. Il s’agit de protéger - ou contrôler - les populations, et pour ça un certain nombre d'outils sont à la disposition des armées, dont ce qu'ils appellent l'arme psychologique*”.
Dans ce sens Romain Mielcareck, explique :"Pendant les guerres coloniales, le pivot perçu, c'est l'ennemi et donc c'est l'ennemi qu'il faut convaincre de renoncer au combat. À partir des interventions du début du XXIᵉ siècle en Afghanistan pour la France et aussi en Irak pour les anglo-saxons, le pivot n'est plus tellement l'ennemi. On se rend compte que le pivot, ce sont les populations et donc que ce sont les populations qu'il faut convaincre”.
Autrefois principalement cantonnée au niveau tactique (programmes radios, tracts, haut-parleurs), la guerre informationnelle a investi le champ du cyberespace avec, pour première conséquence stratégique, la mise en évidence de la fragilité des démocraties dans ce nouvel environnement conflictuel.
Romain Mielcareck met en avant les questions éthiques soulevées par ces stratégies : "Il y a un grand débat sur le juste milieu entre information, communication et manipulation. Il y a ceux qui ont le sentiment que diffuser la vérité, de l'information factuelle, c'est le meilleur moyen sur le long terme de gagner la confiance des publics ciblés. Et puis, il y a ceux qui sont un peu plus dans des logiques de manipulation. Ils vont se dire que même si on prend de la marge avec la vérité, ce qui compte, c'est le résultat. S'il faut mentir un peu, s'il faut manipuler le public, même au risque de perdre un peu de leur confiance, ce n’est pas grave. L’important, c'est que la cible, le public visé, fasse ce qu'on attend de lui”.
- Ces armes d’influences psychologiques font donc partie de l’arsenal militaire même si comme le rappelle Elie Tenenbaum : “L'Armée française, comme les armées occidentales d'une manière générale, restent fortement marquées par l’éthos du guerrier. Le cœur du métier reste l'action du combat, l'action létale. Toute forme d'action indirecte n'est pas forcément très bien comprise ni valorisée sur le plan institutionnel ou de la carrière. Toutes ces questions politico-militaires, d'actions psychologiques, restent marginales, peu valorisées, mal comprises”.
> Écouter l'émission sur le site de France Culture.
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